Allemagne
: l’extrême droite continue sa percée
04 Septembre 2019
Le 1er septembre, les
Parlements de deux Länder (régions) de l’est de l’Allemagne, le Brandebourg et
la Saxe, étaient renouvelés. Ces élections étaient scrutées de près, car
l’ex-RDA est devenue un bastion de l’extrême droite. Et les résultats ont
malheureusement confirmé une nouvelle progression de l’AfD (Alternative für
Deutschland), dans un contexte de forte participation électorale.
L’AfD est arrivée en deuxième
position dans les deux Länder. Ainsi en Brandebourg, l’AfD atteint 23,5 %,
à seulement 2,7 % derrière le SPD (sociaux-démocrates). La CDU
(chrétiens-démocrates) arrive loin derrière, avec 15,6 %. En Saxe, l’AfD
totalise même 27,5 % des voix, 4,9 points derrière la CDU. Le troisième
parti, Die Linke (gauche dite radicale), est très loin derrière, avec
10,4 %, le SPD ne recueille plus que 7,6 % des suffrages.
Quand on compare ces résultats de
l’AfD avec ceux des précédentes élections régionales en 2014, la progression
est spectaculaire.
L’AfD a fait campagne notamment
sur l’insécurité, répétant pour tenter d’en faire une vérité le mensonge
« immigration égale insécurité ». Dans des régions riches en lignite
et tandis que les autres partis envisagent la fin de l’exploitation de ce
charbon, l’AfD seule se prononce pour la poursuivre. Ce parti se donne ainsi
l’image d’être le seul à s’intéresser au sort des mineurs et, plus
généralement, des travailleurs. D’autant que trente ans après la réunification,
le chômage reste plus élevé dans les Länder de l’Est et le niveau de vie plus
bas. L’AfD se nourrit de tout cela et prétend même se poser en héritière des
grandes manifestations qui en 1989 ont précédé la chute de la RDA.
Le pire n’est pas seulement que
l’AfD soit plus forte à l’Est, elle y est aussi beaucoup plus radicale. Ses
dirigeants appartiennent à la frange extrême de leur parti, qui ne cache pas
ses affinités avec des groupuscules néo-nazis. L’AfD, qui n’existait
pratiquement pas il y a dix ans, évolue donc à grande vitesse vers des positions
toujours plus dures, entraînant avec elle une partie de la classe politique.
Quant aux deux partis
gouvernementaux, SPD et CDU, ils continuent certes de subir des pertes, mais
ils respirent, soulagés : arrivés en tête, ils pourront probablement
continuer à gouverner chacun sa région, et c’est ce qui les préoccupe le plus.
Cela étant, former des coalitions
ne va pas être facile : il faudra sans doute s’y mettre à au moins trois
partis. Comme au niveau fédéral, la tendance à l’émiettement politique continue,
entraînant une instabilité grandissante. Pour gouverner sans l’AfD, les partis
se lancent dans des coalitions toujours plus hétéroclites. Ce qui donne du
crédit à l’image antisystème que veut se donner l’AfD.
Enfin, et ce n’est pas non plus
une bonne nouvelle, le parti qui a le plus perdu est Die Linke, né de la fusion
d’éléments se voulant à gauche du parti socialiste à l’Ouest et de quelques
héritiers du parti stalinien à l’Est. Lui qui recueillait encore autour de
25 % en ex-RDA il y a une quinzaine d’années, près de 19 % en 2014,
il plafonne aujourd’hui autour de 10,5 % en Brandebourg et en Saxe. Ce
n’est plus très différent de ses résultats à l’Ouest. L’une des raisons, en
tout cas en Brandebourg, est l’usure du pouvoir, puisque Die Linke participe depuis
dix ans au gouvernement avec le SPD. Il paye aussi son absence de perspective,
comme de cohésion. Ce parti tient aujourd’hui du conglomérat de groupements,
avec diverses tendances et plateformes. Pour regagner des franges de son
électorat attiré par l’AfD, une partie de sa direction, avec notamment l’une de
ses porte-parole, Sarah Wagenknecht, a multiplié des prises de position en
faveur d’une immigration « maîtrisée », critiquant la politique de
Merkel sur son choix d’accueillir les migrants. Elle a choisi de mettre en
concurrence entre eux les plus pauvres, laissant entendre que les précaires et
chômeurs d’Allemagne payaient pour l’arrivée des réfugiés. Toute une partie de
Die Linke s’insurge contre ses prises de position, défendant toujours l’ouverture
des frontières et la liberté de circulation. Mais au total, et selon les
endroits, Die Linke perd des voix dans toutes les directions, au profit de
l’AfD bien sûr, mais aussi du SPD comme des Verts.
En face de la menace d’extrême
droite, même aujourd’hui cantonnée aux élections, les partis de gouvernement ne
sont d’aucune utilité. Seule la classe ouvrière, sur son terrain, aurait la
force d’endiguer le flot montant de la réaction. Encore faudrait-il qu’un parti
lui propose ce chemin.
Alice MORGEN (Lutte
ouvrière n°2666)