Biélorussie
: un pouvoir de plus en plus contesté
12 Août 2020
Comme les précédentes farces
pseudo-démocratiques organisées dans ce pays, l’élection présidentielle du
dimanche 9 août, en Biélorussie, a abouti à la victoire officielle de Loukachenko,
dictateur en place depuis 26 ans, avec 80,08 % des suffrages. Mais la mascarade
ne passe plus et a suscité une vague d’indignation.
Face à Loukachenko, la candidate
Svetlana Tikhanovskaïa avait remplacé au pied levé son mari, un blogueur en vue
critiquant le régime, empêché de se présenter et emprisonné. Elle a cristallisé
sur son nom en quelques semaines le rejet du pouvoir, qui constituait le thème
unique de sa campagne. Elle a eu un écho non seulement dans les milieux de la
petite bourgeoisie aux aspirations libérales et pro-occidentales auxquels elle
appartient, ainsi que d’autres candidates qui l’encadraient, épouses d’un
banquier et d’un diplomate, mais semble-t-il aussi dans les classes populaires.
Dès l’annonce des résultats
officiels, des rassemblements ont eu lieu, tandis que des sondages de sortie
des urnes lui donnaient la victoire avec 72 % des voix. L’intervention
brutale des forces de l’ordre a déclenché la colère. Jour et nuit, des
manifestations se sont multipliées dans plus de trente villes. Des cortèges de
voitures ont bloqué les rues et les carrefours. Des affrontements ont eu lieu
avec la police, faisant des blessés de part et d’autre. L’Internet biélorusse a
été coupé, mais sur les réseaux sociaux, par le biais d’autres fournisseurs
d’accès, des appels à se regrouper ont continué à circuler.
Loukachenko a affiché sa fermeté,
accusant « l’étranger » d’avoir organisé les manifestations. Plus de
3 000 personnes ont été arrêtées dès le premier soir. Le 11 août au matin,
on apprenait que Tikhanovskaïa se trouvait en Lituanie, pays voisin membre de
l’Union européenne, sans qu’on sache si elle s’y était rendue de son plein gré
ou avait été expulsée.
Il faut souligner l’hypocrisie
des protestations des dirigeants occidentaux, notamment français, contre la
falsification des élections. Les pays impérialistes s’accommodent de bien
d’autres dictatures, y compris en Europe, et en réalité ils ont su tirer
avantage de celle de Loukachenko aussi. La Biélorussie, zone tampon entre
l’Union européenne et la Russie, leur permet notamment de contourner leurs
propres sanctions contre Moscou pour continuer à y faire leurs affaires.
Depuis son accession au pouvoir
en 1994, Loukachenko, représentant de la bureaucratie biélorusse, n’a cessé de
louvoyer entre les pays occidentaux et la Russie pour tenter de s’assurer une
marge de manœuvre. Le pays reste dépendant de la Russie, notamment pour la
fourniture et l’exploitation des matières premières, son économie s’étant
construite en lien avec l’URSS, sa population parlant russe et étant liée à la
population russe. D’autre part, la Biélorussie est restée un pays relativement
industrialisé et Loukachenko a cherché à attirer technologies et capitaux
occidentaux. Il a favorisé des privatisations dans divers secteurs. Mais sa
boussole, en tout état de cause, est toujours restée l’enrichissement de la
bureaucratie biélorusse et des milieux d’affaires qui lui sont liés.
À la veille des élections,
Loukachenko se présentait encore comme garant de l’indépendance par rapport à
Moscou, cherchant par la même occasion à regagner les voix d’une partie des
libéraux. Mais, à présent, sa situation rappelle celle de Ianoukovitch, le
président ukrainien renversé en 2014 par le mouvement du Maïdan. L’avenir dira
si sa situation est aussi fragile. Poutine, en tout cas, craignant une
déstabilisation qui risquerait de faire contagion et d’éloigner un État
supplémentaire de la sphère d’influence russe, s’est empressé de saluer sa
victoire électorale.
Mardi 11 août, plusieurs usines
se mettaient en grève, tandis que des syndicats liés à l’opposition, ou en
train de la rejoindre, appelaient à la grève générale. Pour les dirigeants de
l’opposition, la classe ouvrière n’est appelée à descendre dans la rue que
comme masse de manœuvre pour faire pression sur le régime. Il serait de son
intérêt de manifester en son nom propre, de s’organiser dans les usines et les
villes, pour défendre ses propres objectifs, face à ceux de la bureaucratie au
pouvoir, mais aussi face à ceux de la bourgeoisie libérale qui aspire seulement
à accéder au pouvoir politique.
Pierre MERLET (Lutte ouvrière n°2715)