Afrique
du Sud : le pouvoir de l’ANC chancelle
Publié le 05/06/2024
Le parti de Nelson Mandela,
l’ANC, au pouvoir depuis trente ans en Afrique du Sud, a obtenu plus de voix
que tout autre parti lors du scrutin du 29 mai : 40 %. Ce n’en est pas
moins un coup dur, car l’ANC avait obtenu 58 % en 2019. Pour la première fois,
il n’a pas la majorité.
Ne pouvant former seul un
gouvernement et devant choisir un partenaire de coalition, c’est là que le bât
blesse. L’Alliance démocratique (DA), qui arrive en deuxième position (21,81
%), est vue à juste titre comme un parti de « patrons blancs ». Et uMKhonto we
Sizwe (MKP), qui arrive en troisième position avec 14,58 % de voix, est un
nouveau concurrent de l’ANC. Lancé il y a seulement cinq mois, il est dirigé
par l’ancien président Jacob Zuma, corrompu et en disgrâce, ennemi juré de
l’actuel président, l’homme d’affaires et millionnaire Cyril Ramaphosa.
La condition mise par Zuma pour
un accord de partage du pouvoir avec l’ANC serait que Ramaphosa se retire.
Zuma, qui accuse la Commission électorale de fraude, insiste sur l’annulation
de ses futurs procès pour corruption. Il représente une réelle menace puisqu’il
peut mobiliser ses partisans dans sa province natale, le KwaZulu-Natal, comme
il l’a fait en juillet 2021, lorsqu’il avait été brièvement emprisonné pour
outrage à magistrat. Cela avait déclenché des émeutes meurtrières faisant 330
morts.
Le MKP a certainement pris des
voix à l’ANC, mais aussi aux Combattants de la liberté économique de l’ancien
dirigeant de la Ligue de la jeunesse de l’ANC, Julius Malema. Également
scission de l’ANC depuis 2013, cette formation a obtenu 9,5 % des voix. Leurs
politiques sont similaires, bien que le seul point positif de Malema soit sa
position contre la xénophobie. Pas plus que l’ANC et la DA, ces deux partis,
malgré leur rhétorique sur la nationalisation des terres et des mines, n’ont
l’intention de remettre en cause le pouvoir de la bourgeoisie, même si elle
peut désapprouver leur politique.
Avant cette élection, de nombreux
Sud-Africains pauvres ont dit que « 2024 sera notre 1994 », en référence
à la première élection à laquelle les Noirs ont eu le droit de voter. Ils en
ont assez, ayant subi des gouvernements de plus en plus corrompus et
incompétents, ainsi qu’une aggravation de la pauvreté : c’est le bilan de Zuma
à la présidence à partir de 2009, puis de son vice-président Ramaphosa, qui l’a
renversé en 2018. L’Afrique du Sud est un des pays les plus inégaux au monde.
L’approvisionnement en eau et en électricité est intermittent. Le taux de
chômage des jeunes dépasse les 60 % et il est le pire de l’Afrique
subsaharienne.
Lorsque des files d’attente se
sont formées devant les bureaux de vote le 29 mai, tout comme en 1994,
certains ont pensé que l’histoire se répétait. Mais, contrairement à 1994, où
le taux de participation avait été de 87 %, il n’a été cette fois-ci que de
58,5 %. Seuls 16 millions des 27 millions d’électeurs inscrits (sur
une population d’environ 60 millions d’habitants) ont pris la peine de
voter et seulement 6 millions d’entre eux ont voté pour l’ANC. La lenteur
des files d’attente s’explique par la complexité du scrutin et une
désorganisation très prévisible.
L’issue des négociations pour le
pouvoir, qui se déroulent sans que la population ait encore son mot à dire, est
incertaine. Mais il est certain que la majorité de la classe ouvrière est
écœurée par la fausse démocratie qu’elle a gagnée après la formation du
gouvernement de l’ANC et de Mandela en 1994. La fin de l’apartheid n’a
nullement été la fin du pouvoir de la bourgeoisie.
Amanda
Hunt (Lutte ouvrière n°2914)