Pendant
que le bateau coule, le spectacle continue
Rien ne manquait à la mise en
scène, le soir du dimanche 7 mai dans la Cour carrée du Louvre. Plusieurs
centaines de journalistes accrédités, les télévisions du monde entier. Le
nouveau président traversant, seul, l’esplanade vers la tribune où l’attendait,
en contrebas, la foule agitant des drapeaux bleu-blanc-rouge. Beethoven pour
commencer et La Marseillaise pour finir !
Et les médias de s’extasier
devant l’élection de ce jeune président, le plus jeune, répétaient-ils, depuis
Louis-Napoléon Bonaparte qui, avant de se proclamer empereur, s’était fait
élire président de la République quelques mois après que la première grande
insurrection ouvrière contre la bourgeoisie, en juin 1848, eut été noyée dans
le sang.
Mais la comparaison avec le
précédent historique s’arrête là. Au temps de Louis-Napoléon Bonaparte, la
bourgeoisie était encore jeune, avec toutes ses dents. Des décennies de
prospérité et d’enrichissement l’attendaient sous un capitalisme en pleine
vigueur.
Aujourd’hui, Macron arrive au
service d’un capitalisme sénile, étouffant dans sa graisse financière, rongé
par une crise économique dont il ne parvient pas à sortir.
Le chômage de masse, la
détérioration des relations humaines, la pourriture de la vie sociale, le
climat de guerre, le terrorisme sont les signes infaillibles du déclin du
capitalisme à l’échelle internationale. Le capitalisme, anachronique par
rapport aux immenses possibilités scientifiques et techniques de l’humanité,
les dénature et pousse la société à la régression. Le seul moyen d’empêcher
qu’il n’entraîne l’humanité vers la catastrophe est de mettre fin à cet ordre
social.
L’élection de Macron a été saluée
par les représentants des deux grands partis de l’alternance qu’il a pourtant
écartés de la course à l’Élysée. Saluée aussi par tous les « grands de ce monde
», de Merkel à Trump. Saluée enfin par Gattaz, au nom de ses compères de la
grande bourgeoisie.
Et si les valeurs boursières ne
se sont pas de nouveau envolées, c’est juste parce que les marchés financiers
avaient déjà anticipé au soir du premier tour l’accession de Macron à l’Élysée.
Un renouveau pour la galerie
Le renouveau de la vie politique,
salué par la cohorte de politiciens présents sur les plateaux de télévision –
les mêmes que les téléspectateurs ont l’habitude de voir depuis dix, vingt ans
ou plus et qui se disputent déjà places et positions –, se limite cependant à
la réussite d’une opération de marketing.
Elle a réussi, en effet, à faire
un président de la République d’un jeune arriviste formaté par la banque et par
les cabinets de l’Élysée. Le produit Macron a certes été servi par la chance :
l’écroulement de la candidature Fillon, favori de l’électorat de droite et
candidat de cœur de la bourgeoisie. Mais Macron a pu saisir sa chance parce que
les grands médias, c’est-à-dire leurs propriétaires, les Dassault, Drahi,
Bolloré, Arnault, Lagardère et quelques autres, se sont mis au service de son
ascension.
Plus de 20 millions d’électeurs,
66 % des votants, ont voté pour Macron. Mais, en même temps, le total des
bulletins blancs et nuls a explosé entre les deux tours. Les abstentions aussi (cf.
notre tableau).
Les flonflons de la célébration
ne peuvent pas cacher les refus du faux choix du deuxième tour qui se
manifestent dans ces chiffres et le rejet que cela exprime. Comme ils ne peuvent
pas cacher le fait que la colère s’est manifestée aussi à sa façon,
c’est-à-dire la pire qui soit, à travers les votes en faveur de Le Pen. Au
deuxième tour, Marine Le Pen a obtenu plus de 10 millions de voix, en
augmentant de près de 3 millions le nombre de ses électeurs.
Le danger du Front national
Marine Le Pen n’a pas pu
s’installer à l’Élysée. Mais ceux qui, dans les classes populaires, ont choisi
de voter pour la représentante de l’extrême droite pour exprimer leur colère,
sont toujours là, dans les entreprises, dans les quartiers pauvres.
Une fraction importante du monde
du travail a choisi d’exprimer sa colère en se subordonnant à une extrême
droite congénitalement antiouvrière.
Il n’y a pas lieu de revenir ici
sur la responsabilité écrasante du parti stalinien et du parti social-démocrate
dans cette évolution. Pas plus que sur leur responsabilité pour avoir démoli
parmi les travailleurs les valeurs du mouvement ouvrier pour y substituer une
phraséologie chauvine, xénophobe, raciste et réactionnaire.
Même si ce n’est que l’expression
électorale du profond recul du mouvement ouvrier, cela en est une expression.
Comme en est une aussi, même si c’est d’une autre manière, le fait qu’une autre
partie de l’électorat ouvrier n’ait pas vu d’autre possibilité, pour conjurer
ses craintes devant la montée du Front national, que de se jeter dans les bras
de Macron.
Même les médias les mieux
disposés à l’égard de Macron répètent qu’il ne connaîtra pas d’état de grâce.
Et comment pourrait-il en être autrement lorsqu’il annonce que les mesures les
plus urgentes qu’il compte prendre le seront par ordonnances, en se passant
même des discussions au Parlement dont il ignore encore la composition ? Parmi
les mesures qu’il considère les plus urgentes, il y a l’aggravation des lois El
Khomri, il y a le démantèlement de la législation du travail et des conventions
collectives au profit d’accords d’entreprise.
L’offensive à venir
À la différence de Hollande,
Macron ne cherche même pas à dissimuler qu’il est décidé à exécuter tout ce que
lui demandera le grand patronat. Celui-ci continuera son offensive contre la
classe ouvrière, et plus généralement contre toutes les couches populaires.
Le nouvel exécutif mènera cette
offensive au milieu de l’instabilité politique que va engendrer la compétition
entre appareils et ambitions des politiciens pour profiter de la recomposition
politique qui s’annonce.
Par rapport aux menaces que
recèle cette situation, la classe ouvrière a pris beaucoup de retard. Il ne
réside pas dans un manque de combativité des travailleurs. Cette combativité,
la classe ouvrière finira par la retrouver, car la grande bourgeoisie et son
personnel politique ne lui laissent pas le choix. Mais rien ne serait plus
dramatique, lorsque l’explosion sociale se produira, que de laisser des
démagogues détourner les luttes vers des voies de garage. Et des candidats à ce
rôle-là peuvent se trouver aussi bien du côté des mélenchonistes que du côté de
l’extrême droite. Ne serait-ce qu’en orientant la lutte vers le protectionnisme
ou, pire encore, vers le rejet des travailleurs étrangers, détachés ou pas.
Il ne s’agit pas seulement de
défendre les seuls intérêts matériels des travailleurs. Il s’agit plus encore
de mettre en avant leurs intérêts politiques. Les deux sont inséparables.
Les directions politiques du
mouvement ouvrier, faillies de longue date, n’ont pas été remplacées par une
autre décidée à défendre les intérêts matériels et politiques de la classe
ouvrière.
Il faut un parti révolutionnaire
Il ne peut pas y avoir de tâche
plus urgente que faire renaître un parti qui ait le programme, la volonté et la
compétence pour incarner cela. Car la conscience de classe politique n’est
jamais suspendue en l’air. Elle est incarnée par un parti communiste
révolutionnaire. La nécessité de se donner un parti se pose à la classe
ouvrière depuis longtemps. Le retard pris dans ce domaine représente de toute
façon du temps perdu pour former des militants ouvriers et les aguerrir. Mais
c’est avec la crise économique, la menace pour les masses ouvrières de tomber
dans la misère, l’instabilité de la situation politique, la montée de l’extrême
droite, que cette question devient cruciale.
Il ne s’agit pas d’être optimiste
ou pessimiste. Il ne s’agit pas de spéculer en observateurs en dehors de la
lutte des classes. Il s’agit de regarder la réalité en face pour en déduire ce
qu’il y a à faire. Car une montée ouvrière puissante peut faire surgir par
milliers des militants ouvriers, des cadres susceptibles de conduire le combat
de leur classe. Mais il faut qu’ils trouvent le chemin vers l’expérience
accumulée au cours des combats du passé de la classe ouvrière.
C’est un problème bien plus ample
que l’échéance des élections législatives. Mais cette échéance peut et doit
être un pas en avant dans cette direction. Voilà pourquoi Lutte ouvrière n’a
pas l’intention de participer à quelque combinaison politicienne que ce soit.
Elle présentera des candidats dans la quasi-totalité des circonscriptions. Elle
veut permettre aux électeurs qui se reconnaissent dans le camp des travailleurs
de voter sans apporter leur soutien à quelque future majorité parlementaire que
ce soit. Elle vise à donner au courant qui se revendique du communisme,
c’est-à-dire du combat contre la dictature de la grande bourgeoisie sur la société,
les moyens de s’affirmer d’élection en élection.
Le futur parti ne se développera
que dans les luttes quotidiennes, petites et grandes, de la classe ouvrière.
Mais la permanence d’un courant communiste dans les élections contribue à lever
un drapeau et à proposer un programme.
Georges
KALDY (Lutte ouvrière n°2545)