Pérou :
révolte contre l’envolée des prix
20 Avril 2022
Confronté à une révolte populaire
en riposte à l’inflation, le président du Pérou, Pedro Castillo, présenté comme
de la gauche radicale, a choisi la répression, décrété l’état d’urgence dans
plusieurs régions et déployé l’armée.
Le Pérou est la sixième économie
de l’Amérique latine. Riche en ressources minières (cuivre, argent, or, étain,
molybdène) ou en hydrocarbures (gaz, pétrole) et en productions agricoles, elle
se place dans le premier tiers des économies de la planète (50e place selon la
Banque mondiale). Mais le Pérou n’est que 92e pour le PIB par habitant. La grande
majorité des 33 millions d’habitants ne voient jamais la couleur de ces
richesses. En outre, avec plus de 200 000 décès, c’est le pays du monde
qui a été le plus frappé par le Covid. C’est aussi là que la récession a été la
plus forte dans la région. Le taux de pauvreté, ramené de 59 à 20 % ces
quinze dernières années, est remonté à 30 % en 2021.
C’est dans ce contexte que, le 28
mars, les syndicats des chauffeurs de poids lourds et de bus ont appelé à la
grève contre l’augmentation du prix de l’essence, installant des barrages
routiers sur la route centrale qui part de la capitale Lima vers le centre
andin du pays.
Ce qui aurait pu rester un
mouvement limité d’une corporation a été l’étincelle qui a permis à la colère
populaire d’exploser. Des péages ont été incendiés et la population pauvre
s’est jointe aux transporteurs ou a organisé ses propres barrages. Des grèves
ont éclaté. Des manifestations ont été réprimées par la police, faisant au
moins six morts.
La forte hausse des prix, au
moins 10 % dans plusieurs régions, concerne le prix des engrais,
mobilisant les paysans pauvres qui ne peuvent plus en acheter. Tous les
produits de première nécessité augmentent aussi. Le sucre a grimpé en une
semaine de 2,5 à 6 soles (0,6 à 1,5 euro) et celui du poulet de 12 à 16 soles
(3 à 4 euros) en deux jours.
Castillo a dénoncé des
manifestants « malintentionnés » et même « achetés » pour
entretenir le désordre. Il a instauré le 5 avril l’état d’urgence et le
couvre-feu dans la capitale et le port de Callao. Loin d’intimider les
manifestants, cela a élargi la colère populaire, qui a déferlé dans Lima :
des magasins ont été pillés et des bâtiments officiels attaqués, dont la Cour
suprême de justice.
Castillo a dû remballer ses
propos injurieux, suspendre les taxes sur certains carburants et les produits
de consommation courante et promettre une augmentation du salaire minimum de
930 à 1 025 soles (253 euros) en mai. Ces mesures restent cependant
limitées car l’inflation s’aggrave et la majorité des travailleurs travaillent
au noir, donc hors de toute législation du travail. Si l’état d’urgence a été
levé dans la capitale, il était maintenu sur les principaux axes routiers.
L’armée reste déployée, le droit de réunion suspendu et les arrestations
arbitraires continuent.
En juillet 2021, la victoire de
Castillo contre la droite dure représentée par Keito Fujimori, fille de
l’ex-président-dictateur, avait soulevé l’enthousiasme des classes populaires.
Avec le slogan « Plus de pauvres dans un pays riche », il
avait obtenu dans des bureaux de vote populaires des scores dépassant
80 %.
Fils de paysans pauvres, devenu
instituteur et syndicaliste, Castillo était apparu à la tête d’une grève
nationale de l’Éducation en 2017. Une assemblée d’enseignants l’avait choisi
pour les représenter pour l’élection présidentielle.
Le candidat avait promis
notamment d’arracher les mines aux compagnies étrangères, de changer la
Constitution de Fujimori et de moderniser l’éducation. Mais, dès le deuxième
tour de la présidentielle, il renonçait à changer la Constitution et le
changement n’est pas venu. Une fois élu, Castillo a été contrecarré par
l’opposition déterminée des milieux patronaux et de la droite, un sport auquel
le Parlement péruvien est aguerri. Composé de politiciens corrompus, il sait
mettre la pression sur les présidents successifs, même très modérés, pour
écarter ceux qui ne sont pas à son goût. Et, comme pour ses prédécesseurs, ces
parlementaires ont mis en avant des affaires de corruption, insignifiantes,
pour exiger la destitution de Castillo. L’arrivée d’un simple enseignant
soutenu par des paysans pauvres a déclenché en outre une bronca de l’extrême
droite raciste, forte au Congrès, qui voit en lui le « communiste »
qu’il n’est pas.
Face à cela, Castillo s’est bien
gardé de faire appel à la mobilisation populaire, et a tenté de se préserver en
multipliant les concessions. Il n’a cessé de remanier son gouvernement pour
tenter, sans succès, d’amadouer ses opposants, y faisant entrer des
personnalités de plus en plus à droite, comme Ricardo Belmont, patron de
télévision, xénophobe, homophobe, antivax et admirateur de Trump, devenu
conseiller de la présidence.
Parmi les manifestants, nombreux
sont les enseignants qui ont compris qu’aucune promesse éducative ne sera
tenue. Et, avec l’envolée de l’inflation, de plus en plus de pauvres de ce
« pays riche » réalisent qu’ils n’ont pas un allié à la tête de
l’État mais un adversaire au service des capitalistes nationaux et de
l’impérialisme, comme tous les présidents avant lui. L’élection n’a rien
changé, mais la voie de la lutte est ouverte.
Antoine FERRER (Lutte ouvrière
n°2803)