Chili :
explosion de colère
23 Octobre 2019
Une augmentation du prix du
ticket de métro de Santiago a provoqué une révolte populaire dans tout le pays.
Le président Sebastian Piñera a reculé. Il a annoncé, le 23 octobre, des
mesures en faveur des plus pauvres, dont l’augmentation de 20 % du minimum
retraite et le gel des tarifs de l’électricité.
Quand, pour la seconde fois cette
année, Piñera a annoncé une augmentation du prix du ticket de métro de 800 à
830 pesos, la jeunesse des lycées et des facultés de Santiago s’est mobilisée.
Le 7 octobre, elle a envahi les stations de métro, sautant par-dessus les
tourniquets et bloquant la circulation des trains.
Or, dans cette capitale
complètement saturée, le métro est utilisé chaque jour par trois millions
d’usagers. Le coût du transport peut représenter 20 % du salaire ouvrier
et près de 40 % de la pension de bien des retraités. Aussi la mobilisation
des jeunes a tout de suite été populaire.
Et quand le gouvernement a envoyé
la police dans le métro contre les jeunes, la colère a explosé. Le 18 octobre,
une quarantaine de stations de métro ont été incendiées, ce qui a entraîné la
fermeture de tout le réseau et un chaos général dans la capitale. Le soir même,
le président Piñera instaurait l’état d’urgence, en application d’une loi
sécuritaire datant de la dictature militaire de Pinochet (1973-1990). Le
général Javier Iturriaga del Campo a déployé dix mille soldats dans la
capitale.
Piñera pensait que les
dégradations retourneraient l’opinion et que l’envoi de l’armée démobiliserait
les manifestants. Il a obtenu le résultat inverse. Le déploiement des soldats
dans les rues a réveillé le cauchemar de la dictature militaire. Des milliers
de personnes sont descendues dans les rues de Santiago, faisant retentir des
cacerolazos, des concerts de casseroles, aux cris de « Dehors, les
militaires ! »
Des manifestants brandissaient
des photos de disparus de la dictature et saluaient le courage des jeunes qui
avait effacé leurs propres peurs.
Les affrontements se sont
multipliés, d’autres stations ont été incendiées, des bus brûlés, des
entreprises privées envahies, comme l’immeuble de la société d’électricité
Enel, succursale de Banco Chile, des supermarchés pillés, notamment ceux de
l’enseigne nord-américaine Walmart.
La contestation s’est étendue aux
communes autour de la capitale, puis à tout le pays.
Le samedi 19 octobre, Piñera,
contraint de reculer, a annoncé l’annulation de la hausse du ticket de métro.
En même temps, le général
Iturriaga annonçait un couvre-feu à partir de 22 heures.
Mais cette nouvelle provocation a
rempli à nouveau les rues de manifestants : à Santiago, à Valparaiso, à
Concepción, à Antofagasta et dans bien d’autres villes, où les incendies de
bâtiments publics se sont multipliés.
Le couvre-feu a été étendu à de
nombreuses villes, sans faire baisser la mobilisation.
Le 20 octobre, Piñera déclarait à
la télé : « Nous sommes en guerre, contre un ennemi puissant,
implacable, qui ne respecte rien ni personne. » Sept manifestants
étaient morts et 1 500 arrêtés mais, pour le président, les manifestants
étaient de « véritables criminels ».
Le 21, la Confédération
étudiante, le syndicat des mineurs de la plus grande mine de cuivre du pays, La
Escondida, et le syndicat des dockers de Valparaiso appelaient à la grève
générale. Du coup, la Centrale unitaire des travailleurs, la CUT, et diverses
fédérations syndicales se sont réveillées. Muettes jusqu’alors, elles ont
dénoncé l’état d’urgence et appelé à la grève pour le 23.
Il y a quelques semaines, le
président Piñera avait vanté le Chili comme une oasis dans une Amérique latine
en ébullition.
Son intransigeance a fait
exploser toutes les colères. Un « papillon », un tract de la taille
d’une paume de main, qui circule ces jours-ci, titré : «Ce n’est pas
seulement le métro mais la dignité de toute une société», dénonce tout ce qui
ne passe plus dans un Chili très inégalitaire : « La santé,
l’éducation, le logement, les prix de l’électricité et de l’essence, le salaire
des parlementaires, les détournements d’argent des militaires et l’impunité du
patronat. »
La privatisation générale de
l’économie, démarrée sous Pinochet, y compris le système de santé, l’éducation
et les retraites, avec pour conséquences des soins très peu remboursés, des
études supérieures où on s’endette pour des dizaines d’années et des pensions
de misère et un salaire minimum 32 fois inférieur à celui d’un
parlementaire : c’est tout cela qui vient d’exploser.
Les piteuses excuses de Piñera,
présentées le 23 octobre, ne suffiront sans doute pas à satisfaire la
population.
Antoine FERRER (Lutte ouvrière n°2673)
|
Reuters |
Chili :
un pays parmi les plus inégalitaires du monde
23 Octobre 2019
Selon un rapport de 2015 de
l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Chili
est le pays le plus inégalitaire parmi les 34 nations les plus riches de la
planète. L’économie chilienne est une de celles qui ont le plus progressé en
Amérique latine depuis les années 1980. Mais cette richesse est accaparée par
la bourgeoisie. En 2014, les cinq familles les plus riches du pays, dont la
plupart des membres préfèrent vivre en Californie, se partageaient 16 % du
PIB, parmi lesquelles la famille Piñera, celle du président chilien dont la
fortune personnelle est évaluée à plus de deux milliards d’euros. C’est ainsi
que 180 000 Chiliens, les plus riches, disposent de plus du quart de la
richesse nationale tandis qu’à l’autre bout neuf millions, la moitié de la
population, n’ont que deux malheureux pour cent à se partager !
J.F.