Russie :
Conscription et chair à canon
Publié le 17/10/2024
Le 1er octobre, l’armée russe a
débuté sa campagne de conscription d’automne. Elle durera jusqu’au 31 décembre,
avec un objectif chiffré : fournir à l’état-major les 180 000 hommes
supplémentaires que Poutine vient de lui accorder.
En effet, bien que le bilan des
pertes humaines de la guerre en cours soit l’un des secrets les mieux gardés, «
l’opération militaire spéciale » de Poutine réclame un lot croissant de chair à
canon. Les généraux envoient assez d’hommes à la mort pour saturer les
capacités de défense des lignes ukrainiennes : c’est à ce prix que le Kremlin
peut se vanter d’avoir « libéré » de nouvelles bourgades, écrasées sous les
bombes et vidées de leurs habitants, devant Donetsk ou Zaporijjia.
Poutine voudrait apparaître comme
le protecteur de sa population dans un contexte guerrier. Il fait dire depuis
des mois qu’il refuse toute mobilisation générale et ne veut pas de conscrits
pour faire la guerre en Ukraine. À l’en croire, elle ne requiert que des
soldats de métier ou des volontaires.
De cette posture à la réalité, il
y a un gouffre. D’abord, le terme « volontaire » relève du mensonge, nombre de
soldats « sous contrat » n’ayant signé ce dernier que sous la contrainte. C’est
celle de la pauvreté, s’agissant d’hommes et de femmes originaires de régions
où il n’y a d’emplois que très mal payés, et qui peuvent donc considérer comme
mirobolantes les sommes et primes versées à l’engagé, ou à sa famille s’il
meurt au combat. Et il y a aussi la pression qui s’exerce sur des conscrits
livrés à des officiers que pas grand-chose ne retient. Bientôt, leur arbitraire
sera encore plus couvert par la loi : le ministère de la Défense va étendre la
possibilité de mettre un soldat aux arrêts au motif d’indiscipline, en se
passant, obstacle pourtant limité, de l’avis d’un tribunal militaire.
Récemment, le régime de la
conscription s’est encore durci. Un retard de vingt jours pour s’enregistrer
auprès de l’autorité militaire est passible d’amende et de diverses sanctions,
dont la prison. Depuis le 1er janvier 2024, les hommes sont incorporables
de 18 à 30 ans, contre 27 ans jusqu’alors. La mesure vise à ratisser
même ceux qui ont obtenu des sursis répétés, pour études ou raisons familiales.
Quant aux critères d’attribution d’un sursis, on les a rendus encore plus
stricts.
L’armée y trouve évidemment son compte,
mais aussi une foule de responsables militaires et civils qui vendent, à qui
peut se l’offrir, la validation d’un certificat médical permettant d’être
réformé ou celle d’un dossier de soutien de famille qui exempte d’aller à
l’armée…
Certains restent dispensés
d’office de ce service. Les élus à la Douma d’État et aux organes dirigeants
des régions, autrement dit le personnel politique de la bureaucratie acquise à
Poutine, le sont ainsi que les piliers du régime : les très nombreux policiers
en tout genre.
À l’exception des travailleurs
des industries de guerre qui, s’ils coupent à la conscription, restent à la
merci d’un licenciement, c’est sur les membres des classes laborieuses que
celle-ci repose. Ils paient le plus lourd tribut à cette guerre, individuellement
en tant qu’appelés et collectivement avec la hausse des impôts, la fonte des
salaires qui ne suivent pas une inflation proche de 10 % en cette fin d’année.
Ils le paient aussi par l’accroissement du caractère policier, répressif et
militarisé d’un régime au service des nantis de la bureaucratie et de la
bourgeoisie russes.
Pierre Laffitte (Lutte ouvrière
n°2933)