Caricatures
: démagogues et dictateurs en campagne
28 Octobre 2020
L’assassinat de Samuel Paty a
relancé le débat sur les caricatures de Mahomet et le droit à user de l’humour,
voire de la satire, pour critiquer les religions. Mais les objectifs de ceux
qui prétendent défendre la liberté d’expression d’un côté, et de ceux qui
s’affirment protecteurs du respect des croyants de l’autre, sont tout autres.
L’hypocrisie de politiciens
réactionnaires, pourfendeurs du droit à l’avortement et du mariage pour tous,
subitement transformés en défenseurs de la satire anticléricale et de la
liberté d’expression, est évidente. Il y a 31 ans, en 1989, après les violentes
manifestations contre le livre Les versets sataniques de Salman Rushdie,
c’est Jacques Chirac qui déclarait : « Je n’ai aucune estime pour
M. Rushdie. (…) Et en règle générale, je n’ai aucune estime pour ceux qui
utilisent le blasphème pour faire de l’argent. » L’archevêque de Lyon
avait quant à lui exprimé sa solidarité aux musulmans choqués, faisant un
parallèle avec les catholiques heurtés quelques mois auparavant par le film La
dernière tentation du Christ, dont les projections avaient été le théâtre
de manifestations de catholiques intégristes, suscitant même l’incendie
criminel d’un cinéma.
Le problème n’est pas de savoir
s’il faut ou non montrer des caricatures anticléricales visant Mahomet, Jésus
ou Bouddha. On peut les apprécier pour leur impertinence et le vent de liberté
qu’elles font souffler, ou les trouver d’un goût douteux. On doit avoir le
droit de les publier, même si le combat contre les superstitions religieuses et
contre l’obscurantisme nécessite d’autres arguments. Mais la prétendue
intransigeance de Macron contre l’intégrisme islamiste, qui clame qu’on ne fera
pas taire la liberté d’expression qu’incarnerait la France, est pour le moins à
géométrie variable. Elle sait se faire discrète quand il s’agit par exemple de
vendre des engins de mort à l’Arabie saoudite, où la charia régente la vie de
la population et fait de la société une prison pour les femmes.
Quant à la controverse sur les
caricatures, elle a commencé avant celles de Charlie Hebdo, après la
publication en septembre 2005 de caricatures de Mahomet par un journal danois
conservateur. La motivation du quotidien, dans un pays où l’extrême droite
progressait, avait plus à voir avec le racisme et la xénophobie qu’avec le
combat contre les préjugés religieux. Mais cette publication avait engendré des
débats autour de la liberté d’expression, et d’autres quotidiens européens
avaient décidé de publier les caricatures, en réaction aux menaces de mort
reçues par certains dessinateurs.
Cinq mois plus tard, en février
2006, des manifestations massives avaient lieu en Mauritanie, au Liban, en
Turquie, en Iran et en Irak, mais aussi en Indonésie et au Pakistan. Il n’y
avait pas là l’expression spontanée de la colère de croyants se sentant
insultés, mais le résultat d’opérations politiques. Brandir ces caricatures,
qui sans cela seraient restées confidentielles dans leur pays de publication,
pour proclamer que dans ces pays la religion et son prophète sont bafoués, est
un procédé commode pour se poser en défenseur des sentiments des masses sur un
sujet ne risquant en aucun cas de déboucher sur des revendications sociales.
C’était l’occasion, pour des régimes plus ou moins policiers et dictatoriaux,
de redorer leur image en jouant les opposants résolus de l’Occident et de
détourner d’eux et de leur politique la colère des masses pauvres. On vit ainsi
le dictateur syrien autoriser – pour ne pas dire orchestrer – le sac des
ambassades danoise et norvégienne, cherchant ainsi à souder la population
derrière lui. Les groupes intégristes islamistes, qui rêvent d’imposer leur
dictature sous couvert de respect de la religion, s’étaient bien sûr également
empressés d’utiliser cette situation.
Mais c’est aussi la politique
impérialiste qui permet à des dictateurs, en puissance ou déjà en place, de
ranger derrière eux des milliers de protestataires. Le ressentiment accumulé au
fil des exactions, des oppressions, des injustices commises par les puissances
impérialistes est ainsi dévoyé sur un sujet exclusivement religieux. Des
régimes corrompus et réactionnaires, souvent eux-même alliés de l’impérialisme,
peuvent ainsi se prétendre les vengeurs de leurs peuples humiliés, comme un
Erdogan le fait aujourd’hui.
La barbarie qui monte n’est pas
seulement due à la survivance de préjugés religieux, quels qu’ils soient. Elle
est la conséquence du maintien de la société d’exploitation, de son
pourrissement et de l’oppression qu’elle charrie. On ne peut combattre cette
barbarie par l’invocation de principes de démocratie et de laïcité, que les
gouvernants occidentaux sont les premiers à violer, sans s’en prendre aux
causes de la misère grandissante sur laquelle prospèrent les courants
réactionnaires, c’est-à-dire au système impérialiste.
Nadia CANTALE (Lutte ouvrière
n°2726)