Coupe
d’Afrique des nations : football et impérialisme
31 Janvier 2024
La 34e édition de la
Coupe d’Afrique des nations (CAN) se déroule en Côte d’Ivoire jusqu’au 11
février. Même si la compétition ne draine pas les mêmes recettes que le Mondial
de football ou des Jeux Olympiques, les matches seraient suivis par quelque 500
millions de téléspectateurs dans 160 pays.
De grandes entreprises, comme
l’équipementier Puma ou le pétrolier TotalEnergies, ont investi dans le filon
de la CAN. En France, le groupe qatarien BeIN Sports a acquis les droits de
retransmission.
Une grande partie des joueurs des
24 sélections nationales évoluent hors d’Afrique : la CAN compte ainsi 60
joueurs exerçant en Ligue 1 (France), 29 en Premier League (Angleterre), 20
dans la Liga (Espagne), 17 dans la Bundesliga (Allemagne), 17 dans la Serie A
(Italie), etc. Les clubs d’Afrique du Nord et du golfe Persique, moins
prestigieux, comptent également un certain nombre de joueurs africains. Pour
les énormes machines financières que sont les grands clubs européens, le
recrutement de ces footballeurs est bon marché. Le phénomène n’est pas
nouveau : dès l’entre-deux-guerres, les clubs des puissances coloniales
européennes recrutaient des Africains, à l’instar des joueurs algériens qui, en
1958, ont quitté le championnat de France pour former la sélection algérienne à
l’initiative du FLN. Depuis, le phénomène a pris une tout autre ampleur, à la
faveur à la fois d’une déréglementation et de la montée en puissance financière
du football européen.
Aujourd’hui, les championnats
européens sont les plus renommés et ils drainent des capitaux et des joueurs du
monde entier. Les grands clubs font appel à des recruteurs plus ou moins
véreux, qui arpentent les stades, en particulier en Afrique de l’Ouest, pour
repérer de jeunes espoirs de 13 ou 14 ans. Certains ont poussé cette logique en
constituant sur place des centres de formation. Plusieurs clubs français ont
ainsi leurs « académies » au Sénégal, à l’instar du Paris
Saint-Germain et son Academy Pro, de l’Olympique de Marseille, du FC Metz, ou
encore de l’Olympique lyonnais. Après tout, ces investissements restent
minimes, le PSG par exemple ayant un budget de plus de 800 millions d’euros, et
ils sont spéculatifs : les clubs espèrent recruter à bas coût les
meilleurs joueurs, et ils pourront revendre les autres sur le profitable marché
des transferts.
Pour les jeunes garçons d’Afrique
de l’Ouest, qui grandissent en jouant au football et en rêvant aux carrières de
Samuel Eto’o, Didier Drogba, Sadio Mané ou encore George Weah, Ballon d’or 1995
avant de devenir président du Liberia, faire carrière en Europe est un énorme
espoir. Chaque année, quelque 6000 jeunes arriveraient ainsi en Europe,
espérant y démarrer une carrière professionnelle. Les recruteurs les font
venir, parfois moyennant finances, en leur promettant une carrière. Ensuite,
ces adolescents vivent souvent de nombreuses désillusions, sans signer les
contrats qu’on leur a fait miroiter.
Pour une réussite comme celle du
Nigérian Victor Osimhen, qui a fait ses premières armes dans sa ville natale de
Lagos, avant d’être recruté en Allemagne, prêté en Belgique, transféré à Lille
puis de connaître la consécration à Naples comme meilleur buteur du championnat
italien, des centaines de jeunes vont de blessure en déception. Alors que leur
famille s’est parfois endettée pour financer leur départ, rentrer au pays n’est
pas forcément simple, et nombre d’entre eux se retrouvent travailleurs sans
papiers. Ils sont alors confrontés aux mêmes problèmes de titres de séjour, de
logement et de revenus que des centaines de milliers de migrants, qu’ils
finissent parfois par rejoindre sur les chantiers du bâtiment, dans les
entreprises de gardiennage, du nettoyage ou de la livraison à vélo dans les
villes européennes.
À sa manière, le secteur du
football est ainsi un des aspects du pillage de l’Afrique et de ses ressources
humaines par les pays impérialistes, qui sont souvent les anciennes puissances
coloniales.
Michel
BONDELET (Lutte ouvrière n°2896)