États-Unis
: un vaste mouvement contre le racisme et les violences policières
10 Juin 2020
Aux États-Unis, l’explosion de
colère provoquée par le meurtre de George Floyd, le 25 mai dernier, s’est
maintenant transformée en un mouvement massif. Des milliers de manifestations
ont eu lieu dans des centaines de villes, y compris de petites communes peu habituées
aux mobilisations politiques, parfois situées dans des États gouvernés par des
républicains.
On a par exemple manifesté à
Aledo, une bourgade texane de 5 000 habitants, ou à Palmer, 7 000
habitants, en Alaska. Les grandes villes ont parfois été traversées par des
dizaines de manifestations différentes, rassemblant des dizaines, voire des
centaines de milliers de personnes, y compris Washington, dont Trump avait
promis de « dominer » les rues, en mobilisant l’armée. Pas plus que
la police et la Garde nationale, le coronavirus n’a dissuadé les manifestants.
Ceux-ci sont des Noirs mais aussi des Blancs, souvent des jeunes, qui se
rassemblent surtout dans les centres-villes. Ils sont d’abord animés par le
rejet du racisme et des violences policières. D’autres mots d’ordre, comme le
rejet de Trump, émergent également.
C’est donc un véritable
mouvement, avec ses contradictions mais aussi ses forces : des initiatives
sont prises par d’innombrables anonymes, parfois des lycéens qui organisent une
manifestation, conscients de faire partie de quelque chose qui les dépasse.
De nombreux manifestants veulent
que la police soit contrôlée et réformée, voire démantelée et les policiers
violents écartés. Le conseil municipal de Minneapolis a ainsi voté, contre
l’avis du maire, le démantèlement de la police de la ville, pour le remplacer
par un système de sécurité publique basé sur la population. Même si ce genre
d’initiative aurait été impensable il y a quelques semaines, elle reste bien
vague. Une revendication plus modérée est de diminuer drastiquement les
financements dont bénéficie la police (« defund the police »), au
profit de l’éducation, de la santé, de services chargés des troubles psychiques
et de l’addiction aux stupéfiants.
Aux États-Unis, à la différence
de la France, la police est très décentralisée, chaque autorité locale ayant sa
propre force, et la police fédérale ne se chargeant que d’une minorité
d’affaires. Quelque 10 millions d’arrestations ont lieu chaque année, le plus
souvent pour des délits mineurs, comme l’utilisation de fausse monnaie, dont
George Floyd était soupçonné. Les Noirs sont plus souvent arrêtés que les
Blancs et ils sont surreprésentés dans les prisons.
Tous les policiers ne sont pas
racistes ni violents. Mais la police, comme institution, agit violemment et
impunément. Chaque année, elle tue plus de 1 000 personnes, souvent
désarmées, et qui ont eu le tort d’avoir un geste malheureux, ou tout
simplement d’être noires et de s’être trouvées au mauvais endroit au mauvais
moment. Quasiment aucun policier n’est poursuivi. Mais des services de police
ont déjà été « réformés », parfois plusieurs fois, sans changement
fondamental. Le groupe trotskyste américain Spark relève ainsi : « Mais
s’il y avait une manière de se débarrasser des policiers violents,
l’institution policière resterait violente. La police a un rôle à jouer. Elle
protège et elle sert la classe qui dirige une société basée sur des inégalités
profondes… S’il n’y avait pas de coercition, pas de violence organisée pour
mettre sous contrôle la population laborieuse, la minorité privilégiée ne
pourrait monopoliser une telle part de la richesse sociale.
Pour servir cette classe
exploiteuse, la police doit être séparée de la population, et elle doit user de
la violence contre la population ou menacer de le faire. C’est sur cet obstacle
que tous les efforts pour réformer la police se sont brisés.
De précédents mouvements ont
revendiqué que la police reflète mieux la composition ethnique de la
population », remarque Spark en ajoutant : « Aujourd’hui,
des villes majoritairement noires comme Detroit, Memphis, Birmingham dans
l’Alabama, et Oakland en Californie, ont des polices majoritairement noires.
Dans certains cas, il y a peut-être moins de racisme patent. Mais dans chacune
de ces villes, il y a toujours une violence organisée de la police. Et en fin
de compte, cela signifie une violence raciste, avec des gens tués par des
policiers, et qui n’auraient pas été tués s’ils avaient été blancs dans la même
situation.
Le problème est donc plus vaste
que celui de la composition de telle ou telle force de police, même si c’est un
facteur aggravant. La police reflète directement la classe capitaliste qu’elle
sert. Et, dans ce sens, elle doit être “démantelée”. » (7 juin)
Le mouvement en cours reflète la
révolte contre les méthodes de la police, et aussi l’illusion qu’elle pourrait
être plus respectueuse de la population et adopter des méthodes plus humaines.
Mais, du fait de son rôle de défense de l’ordre social, elle ne peut guère
changer et le mouvement se heurte à cette contradiction. L’avenir dira si au
moins une minorité s’approche des solutions. Pour éradiquer les violences
policières et le mépris qu’elles traduisent, il faut s’attaquer à la division
de la société en classes, et finalement au capitalisme. Cette immense
mobilisation a déjà le grand mérite de soulever le problème.
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