La
révolution étend son influence et “ apprend tout en agissant ”
Deux mois après la révolution de
Février, les manifestations de Petrograd contre la continuation de la guerre
entraînent la démission des ministres Goutchkov et Milioukov. Puis, du 14 au 22
avril (27 avril au 4 mai selon notre calendrier), les débats qui animent la 7e
conférence du Parti bolchevik montrent que la révolution continue à s’étendre
en surface comme en profondeur. Les travailleurs imposent la journée de huit
heures, organisent le ravitaillement et créent leurs milices : un contrôle
ouvrier se met en place.
Le mot d’ordre « tout le pouvoir
au soviet » est déjà une réalité vivante. Un délégué de la région de Moscou
décrit ainsi la situation : « À Orekhovo-Zonevo, le pouvoir est aux mains
des ouvriers. Le port d’armes sans autorisation du soviet local est interdit.
Les paysans sont solidaires des ouvriers… Nous avons dans notre bourgade une
tourbière qui appartient à des capitalistes. Nous sommes allés les voir et nous
leur avons dit que, s’ils ne nous donnaient pas du combustible pour travailler,
nous fermerions la fabrique. Le camarade Lénine a dit tout à l’heure qu’il faut
que le soviet des députés ouvriers prenne le pouvoir. Eh bien ! chez nous,
c’est déjà fait. »
Dans le bassin du Donetz, les
ouvriers sont aux commandes de la ville ukrainienne de Lougansk, comme le
raconte leur délégué : « Les mineurs sont partout : dans les commissariats
et la milice, dans les soviets de députés ouvriers et soldats. Ils exercent
même les fonctions de juges. Ils sont les maîtres absolus des puits. »
Lénine tire ainsi les conclusions
de cette réunion :
« Créer un réseau de soviets des
députés ouvriers, soldats et paysans, telle est la tâche du jour. Toute la
Russie se couvre déjà d’un réseau d’organes d’autonomie administrative locale.
La “commune” peut elle aussi revêtir la forme d’organes d’autonomie
administrative. La suppression de la police et de l’armée permanente,
l’armement général du peuple, tout cela peut être réalisé par l’intermédiaire
de ces organes. (…)
Une activité valable, c’est de
réaliser l’abolition de l’armée permanente, du corps des fonctionnaires et de
la police, ainsi que l’armement général du peuple. (…)
La guerre est devenue mondiale.
Elle est faite par des classes déterminées et engendrée par le capital
bancaire. Le passage du pouvoir à une autre classe peut seul y mettre un terme.
La paix ne peut rien changer tant que les classes dirigeantes gardent le
pouvoir.
Il faut indiquer au prolétariat
les mesures concrètes susceptibles de faire progresser la révolution. Faire
progresser la révolution, cela veut dire réaliser d’autorité l’autonomie
administrative. L’extension de la démocratie ne fait pas obstacle à l’autonomie
administrative et permet de réaliser nos tâches. On ne peut terminer la guerre
que par le passage du pouvoir à une autre classe – ce dont la Russie est plus
près que tout autre pays – et en aucun cas par une trêve entre les capitalistes
de tous les pays moyennant un troc dont les peuples que l’on étrangle feraient
les frais. La “commune” convient parfaitement au paysan. La “commune” signifie
l’autonomie administrative locale la plus complète, l’absence de toute
surveillance d’en haut. Les neuf dixièmes de la paysannerie doivent s’en
montrer partisans.
La bourgeoisie peut se résigner à
la nationalisation du sol si les paysans prennent la terre. En tant que parti
prolétarien, nous devons dire que la terre à elle seule ne les nourrira pas. Il
faudra donc qu’ils s’organisent pour la cultiver en commun. Nous devons être
pour la centralisation, mais il est des moments où la tâche doit être exécutée
sur le plan local, où nous devons admettre le maximum d’initiative sur place.
Les cadets se comportent déjà en fonctionnaires. Ils disent au paysan : “Attends
l’Assemblée constituante.” Notre parti est le seul à donner les mots d’ordre
qui font réellement progresser la révolution. Les soviets des députés ouvriers
sont parfaitement en mesure de créer partout des « communes ». La question est
de savoir si le prolétariat a les capacités d’organisation nécessaires, mais
c’est une chose qu’on ne saurait supputer d’avance, il faut apprendre tout en
agissant. »
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