Turquie :
ubuesque mais pas drôle
Lundi 24 juillet s’est ouvert à
Istanbul le procès de 17 journalistes de Cumhuriyet (La République),
quotidien turc qui fait l’objet des foudres du gouvernement d’Erdogan.
La vague de répression qui sévit
dans le pays depuis plus d’un an n’a en effet pas épargné ce journal, qu’on
peut comparer au quotidien Le Monde et qu’on ne peut certes pas
considérer comme un brûlot révolutionnaire. Mais, alors que le régime a
pratiquement placé sous son contrôle direct toute la presse écrite et
audiovisuelle, Cumhuriyet reste un organe d’information indépendant sur
lequel il n’a pas prise. En particulier, il ne pardonne pas à son directeur,
Can Dündar, aujourd’hui réfugié en Allemagne, d’avoir dénoncé le trafic par le
biais duquel les services secrets d’Erdogan approvisionnaient directement en
armes les groupes djihadistes opérant en Syrie, et veut le lui faire payer.
Comme tous les opposants au
régime incarcérés ou révoqués de leurs fonctions depuis un an, les journalistes
de Cumhuriyet se voient donc accusés de trahison et de complicité avec
des organisations terroristes, voire d’en être membres. Erdogan classe en effet
dans la catégorie « terroriste » tous ses opposants, qu’il s’agisse de la
guérilla kurde du PKK, de ses frères ennemis islamistes de la secte Gülen ou de
journalistes un peu trop indépendants à son goût. L’absurdité de l’accusation
saute aux yeux, mais il n’y a pas là de quoi arrêter Erdogan qui, en
délicatesse avec le gouvernement allemand d’Angela Merkel, n’hésite pas non
plus à traiter celle-ci de nazie voire à l’accuser, elle aussi, de complicité
avec les « terroristes ».
Il est vrai que l’absurdité de
ses accusations finit par se retourner contre le gouvernement Erdogan. Le
dernier incident en date a été l’arrestation, après d’autres, d’un couple de
jeunes, coupables... d’avoir exhibé sur leurs T-shirts l’inscription « hero »,
autrement dit « héros » en anglais. D’après la police turque, ce serait là un
signe de reconnaissance pour les membres de la secte Gülen. Le fabricant de
T-shirts, qui en a probablement produit quelques milliers de ce type, déclare
n’en avoir rien su. Les deux jeunes qui les ont innocemment portés ont été
arrêtés et soumis à un interrogatoire serré de la police.
Il est bien sûr facile de
comprendre que les membres d’un parti qui se savent pourchassés depuis des mois
éviteraient d’exhiber de façon aussi visible un signe de reconnaissance. Mais
les policiers turcs qui ont arrêté les deux jeunes avaient aussi toutes les
raisons de craindre, s’ils ne l’avaient pas fait, d’être à leur tour accusés de
complaisance pour les gülenistes...
Pour le régime dictatorial
d’Erdogan, l’autoritarisme ne semble même pas s’arrêter aux limites… de
l’absurde.
André FRYS (Lutte ouvrière n°2556)
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