Comme
vous le savez, nous n’avons pas pu tenir le Cercle Léon Trotsky qui devait
aborder, un siècle après le Congrès de Tours de décembre 1920, la naissance du
parti communiste en France. Le texte de cet exposé est néanmoins disponible sur
notre site lutte-ouvrière.org. Nous vous le proposons à partir d’aujourd’hui en
feuilleton sur notre blog « lo argenteuil »
Le jeune
parti communiste : du combat pour créer un parti révolutionnaire au stalinisme
……………………….
1921-1924 : la
lutte pour transformer le parti
La crise
dans le parti et le départ de Frossard
La discussion sur le Front unique
s’ajoutait à celles sur le travail syndical, sur le ton de l’Humanité,
sur l’indépendance de tel ou tel journal par rapport au parti. Elle cristallisa
les divergences continuelles qui s’exprimaient entre les centristes et la
gauche du parti. Depuis le congrès de Tours, les tergiversations de Frossard et
ses amis, leurs campagnes sournoises ou ouvertes contre la politique de
l’Internationale, sa direction et ses représentants à Paris ou à Moscou,
avaient paralysé le parti. Ou, plus exactement, elles l’avaient empêché de
mener une politique claire, de sélectionner une direction soudée sur des bases
communistes, de former et d’éduquer les nouvelles générations sur la base du
capital politique des bolcheviks. Depuis, presque deux ans, les dirigeants de
la gauche, Rosmer, Loriot, Souvarine, Dunois, se heurtaient aux manœuvres et
aux réseaux des réformistes. À plusieurs reprises, mis en minorité, ils avaient
préféré démissionner de leurs responsabilités, au comité directeur, à la
rédaction de l’Humanité, ou encore, découragés, s’éloigner
temporairement…
Toutes ces divergences
débouchèrent sur une nouvelle crise lors du congrès de Paris en octobre 1922.
Alors que l’influence de la gauche avait progressé, qu’elle était soutenue par
la Jeunesse communiste et la fédération de la Seine (qui regroupait alors toute
la région parisienne), qu’elle avait 1516 mandats contre 1698 pour les
réformistes, ces derniers refusèrent une direction paritaire. Après une
nouvelle démission collective, les représentants de la gauche en appelèrent à
l’arbitrage du quatrième congrès de l’Internationale communiste, en novembre
1922. Trotsky, au nom de l’IC, condamna sur le fond la politique des
réformistes et en particulier leurs liens maintenus avec les notables de la
bourgeoisie. Mais l’IC ne voulait pas trancher par des mesures administratives
non comprises par les militants du rang. Elle proposa une direction réduite,
mais strictement paritaire. En même temps elle imposa aux dirigeants du parti
français qu’ils choisissent entre leur responsabilité à la tête du parti et
leur appartenance à la franc-maçonnerie… ce que, deux ans après la fondation du
parti, Frossard et bien d’autres n’avaient toujours pas fait !
En janvier 1923, de retour de
Moscou, Frossard démissionna, suivi par plusieurs membres de sa tendance.
Cachin, lui, restait. Le combat pour la transformation du parti venait de faire
un bond en avant. Symbole de ce tournant, Pierre Monatte décida enfin d’adhérer : « Les politiciens partaient, il
fallait entrer »,
dira-t-il plus tard[6]. Mais il arrivait après deux
années cruciales, sans avoir mené de l’intérieur du parti le combat pour forger
une direction communiste. Il arrivait dans une période de reflux politique où
les travailleurs menaient des luttes défensives plus souvent défaites que
victorieuses. Il arrivait aussi dans une période où l’isolement et les
difficultés économiques majeures pesaient de plus en plus fort sur la jeune
Union soviétique, ce qui allait bientôt favoriser l’émergence d’une couche
bureaucratique qui gangrena progressivement le Parti bolchevique et, par
contrecoup, l’Internationale communiste.
Mais, en janvier 1923, dans l’IC
comme dans le Parti communiste français, cette évolution n’avait encore rien
d’inéluctable. Au contraire, à Paris le départ des réformistes les plus en vue
ouvrait une nouvelle époque. Il rendait possible la formation d’une véritable
direction qui pouvait souder des militants venus au PC par des chemins divers,
le marxisme, le socialisme, le syndicalisme révolutionnaire ou l’élan de la
révolution russe. Rosmer et Souvarine rejoignirent le bureau politique. Cachin restait
directeur de l’Humanité mais Monatte et ses proches entrèrent à la rédaction,
où ils créèrent et animèrent des pages sur la vie des travailleurs, les luttes
ouvrières, la vie des syndicats… Ils cherchaient à s’adresser aux travailleurs
politisés, aux militants ouvriers des autres partis et syndicats. Ils
défendirent et illustrèrent la tactique du Front unique. L’Humanité se vendait
alors à 140 000 exemplaires chaque jour.
En 1923, le Parti communiste
s’engageait sur la voie de sa transformation. Il s’affirmait révolutionnaire,
dénonçant sans concession la politique du gouvernement français. Il était
internationaliste et anti-impérialiste, pas seulement en paroles, et capable
d’aller à contre-courant. Il était, à cause de cela, soumis à une répression
systématique : perquisitions et fouilles de ses locaux,
arrestations et emprisonnement de ses militants, fichages, révocations, liste noire, refus de
naturalisation des militants étrangers… Au printemps 1923, une bonne partie de la
direction était en prison. Même
Cachin, malgré son immunité parlementaire, fut arrêté pour complot contre la
sûreté de l’État.
6.Julien Chuzeville, Fernand
Loriot : le fondateur oublié du Parti communiste, op. cit., p. 124.
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Fernand LORIOT (Maitron.fr)
(Demain
: 1921-1924 : la lutte pour transformer le parti L’occupation de la
Ruhr, la politique antimilitariste et anticoloniale du PCF)