La forteresse Europe a encore tué
Des pêcheurs tunisiens viennent de sauver in-extremis 16 migrants qui tentaient de traverser la Méditerranée sur un bateau qui commençait à couler, mais 84 de ces migrants se sont noyés.
C'est le
pire naufrage de ces derniers mois. L'Union européenne, avec ses dirigeants
nationaux, barre la route aux migrants et fait mourir en mer beaucoup de ceux
qui fuient les guerres et la misère qu'engendre la politique des grandes
puissances.
Il faut se battre pour imposer la
liberté de circulation et d'installation pour tous les migrants !
Article in extenso de l’AFP
AFP, publié le samedi 11 mai 2019
à 18h52
« "Un
à un ils ont lâché, il sont partis sous l'eau, un à un", répète sans cesse
Ahmed Bilal, un fermier bangladais, rescapé du naufrage d'une embarcation de
migrants entre la Libye et l'Italie, qui a fait plus d'une soixantaine de
morts.
Après
six mois de voyage, Ahmed, 30 ans, est éreinté. Il a passé trois mois en
captivité en Libye et huit heures dans l'eau glacée de la Méditerranée jusqu'à
ce qu'un bateau de pêcheurs tunisien repère les naufragés vendredi, à plus de
60 kilomètres au large de Sfax.
Mais
il était déjà trop tard pour son cousin et son beau-frère, âgés de 22 et 26
ans.
"Je
ne peux plus m'arrêter de pleurer", dit Ahmed, interrogé par l'AFP dans un
foyer d'urgence du Croissant-Rouge à Zarzis, dans le sud de la Tunisie, où les
16 rescapés sont hébergés depuis vendredi soir.
Originaire
de la région de Sylhet, dans le nord-est du Bangladesh, Ahmed, père de deux
jeunes enfants, raconte être parti il y a six mois avec quatre autres hommes de
son village.
"Ma
famille a vendu notre terrain, où nous récoltions du riz une fois par an. Ils
espéraient devenir comme les autres familles qui ont un des leurs en
Europe", raconte-t-il.
Une
vie plus facile, c'est ce que leur a promis un intermédiaire bangladais, leur
faisant miroiter l'Europe pour environ 7.000 dollars.
"Les
gens l'appellent +Good Luck+ (Bonne Chance), il a dit que nous aurions une vie
meilleure et nous l'avons cru", explique-t-il amèrement.
"En
fait, je suis sûr que la plupart des gens qu'il envoie meurent en route (...)
Je ne le connais que par téléphone mais j'ai vu son frère en Libye",
ajoute-t-il.
Ahmed
et les siens ont pris l'avion de Dakka pour Dubaï, puis pour Istanbul et enfin
pour Tripoli. Ils se sont retrouvés avec un groupe de 80 Bangladais, enfermés
pendant trois mois dans une pièce dans l'ouest libyen.
"Je
pensais déjà que j'allais mourir en Libye, on avait de la nourriture une seule
fois par jour, parfois moins, il y avait une toilette pour tout le monde et on
ne pouvait pas se laver, à part les dents. On pleurait, on réclamait tout le
temps de la nourriture."
-
"On a nagé toute la nuit" -
Jeudi
soir, des passeurs emmènent un groupe d'hommes en bateau jusqu'à un canot
pneumatique qu'ils surchargent de migrants, direction l'Italie.
A
bord, 75 à 80 personnes selon Ahmed, peut-être 90 selon un autre rescapé
égyptien. La majorité sont bangladais, mais il y a aussi des Egyptiens,
quelques Marocains, des Tchadiens, et d'autres dont le souvenir est déjà
presque effacé.
"On
a commencé à couler presque tout de suite, vers minuit", se souvient le
rescapé égyptien, Manzour Mohammed Metwella, 21 ans. "On a nagé toute la
nuit."
"Ils
sont morts un à un, chaque minute, on en perdait un", martèle Ahmed, qui a
vu mourir ses proches devant ses yeux.
"Moi
même j'étais en train d'abandonner mais Dieu a envoyé des pêcheurs pour nous
sauver. S'ils étaient arrivés dix minutes plus tard, je crois que j'aurais
lâché."
Un
bateau de pêche tunisien arrivé vers 8h du matin a pu sauver 16 migrants, dont
14 Bangladais, un Egyptien et un Marocain.
"Si
les pêcheurs tunisiens ne les avaient pas vus, (...) nous n'aurions
probablement jamais été informés de ce naufrage", souligne Mongi Slim, un
responsable du Croissant-Rouge dans le sud de la Tunisie.
Le
naufrage a eu lieu alors que les navires de l'opération européenne
anti-passeurs Sophia se sont retirés de l'est de la Méditerranée, tandis que la
plupart des bateaux humanitaires rencontrent des difficultés pour y accéder.
Les
rescapés ont 60 jours pour décider s'ils veulent rentrer chez eux, demander
l'asile via le HCR ou rester par leurs propres moyens en Tunisie. Le pays,
confronté à d'importantes difficultés, avec un chômage élevé et des services de
santé et d'éducation à la peine, n'a pas de loi sur l'asile.
"Nous
avons tant perdu, je n'ai plus rien, nous espérons toujours aller en Europe,
pour gagner assez d'argent et revenir chez nous", explique Ahmed.
"Mais je ne veux plus jamais reprendre la mer." »
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire