J’aimerais
que mes amis du rugby d’Argenteuil lisent cet article, et nous disent ce qu’ils
en pensent, eux pour qui ce sport est d’abord une école de la vie collective.
Et meilleurs vœux 2019 à eux que je retrouve régulièrement le mercredi
après-midi au stade des Cerisiers
Rugby :
la mort au bout du terrain
En sept mois, trois jeunes
joueurs de rugby sont décédés. En décembre, Nicolas Chauvin, 18 ans, est mort
des suites d’une fracture d’une vertèbre cervicale provoquée par un plaquage.
En août, Louis Fajfrowski, 21 ans, était décédé d’un arrêt cardiaque, aussi
après un plaquage. En mai, Adrien Descrulhes, 17 ans, était mort dans son
sommeil après une commotion cérébrale.
Ces drames ne surviennent pas par
hasard. Depuis plusieurs années, les commotions cérébrales se multiplient dans
le rugby. Des vedettes comme Raphaël Ibañez ou Jean-Pierre Rives et de nombreux
anonymes, ont dû s’arrêter après des chocs à répétition, des KO, souvent avec
des séquelles définitives (difficultés d’élocution, vision brouillée…). Pendant
longtemps, ces chocs ont été minimisés par les clubs, intéressés à pousser
leurs joueurs jusqu’au bout de leurs possibilités. Des joueurs victimes d’un KO
sont parfois revenus en jeu au cours même du match.
En France comme dans sept autres
nations, le rugby est devenu professionnel en 1995. Depuis, l’argent a coulé à
flots dans ce sport, au point que les revenus de la Coupe du monde 2015 étaient
plus de vingt fois supérieurs à ceux de celle de 1995. Les clubs sont devenus
des affaires commerciales, où la recherche du succès prime sur la santé des joueurs.
Le poids moyen des joueurs a augmenté en moyenne de 10 à 15 kilos, par de la
musculation et des suppléments nutritionnels. Ainsi, un rugbyman de 1,80 m pèse
aujourd’hui souvent 90 à 95 kg. Un demi-d’ouverture de 80 ou 90 kg peut être
plaqué par un, voire deux défenseurs de 115-120 kg chacun.
Les joueurs jouent parfois 35 à
40 matchs par an. Les blessures, telles que traumatismes de l’épaule, du genou,
de la cheville, etc., se sont multipliées. Les règles du jeu ont été modifiées,
parfois aux dépens de la santé des joueurs. Par exemple, une équipe peut
maintenant faire jusqu’à 12 changements par match, en théorie pour permettre de
faire sortir du terrain les joueurs commotionnés ; en réalité, les clubs
utilisent cette réserve de sang frais pour imposer aux matchs une dimension
encore plus physique. Tous les autres pays où le rugby est professionnel
(Grande-Bretagne, Australie, Afrique du Sud, etc.) ont aussi connu des décès
ces dernières années.
Si les instances sportives, comme
la Fédération française présidée par l’ancien ministre sarkozyste et affairiste
Bernard Laporte, parlent maintenant de modifier les règles pour protéger les
joueurs, elles ne se sont pas pressées. Il y a un an, le neurochirurgien Jean
Chazal avait déjà tiré la sonnette d’alarme, et il avait été écarté du Comité
médical de la Fédération. Aux États-Unis, dans le football américain, des
évolutions similaires (augmentation de la masse des joueurs, enjeux
commerciaux, commotions nombreuses, etc.) se traduisent aujourd’hui par une crise
sanitaire de grande ampleur. Les anciens joueurs professionnels ont par exemple
trois fois plus de risques que la moyenne des Américains d’être victimes de
maladies neurodégénératives.
En règle générale, l’exercice
physique et le sport ont, soulignent les médecins, des effets positifs pour la
santé. Mais quand il s’agit du sport de haut niveau, c’est souvent l’inverse.
Comme dans le cas du rugby, l’esprit de compétition et les enjeux commerciaux
peuvent faire d’un jeu de ballon un spectacle mortel.
Michel BONDELET
(Lutte ouvrière n°2631)
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