Île
Tromelin : l’écume du nationalisme
Devant la levée de boucliers
soulevée par l’accord de cogestion de l’îlot Tromelin signé en 2010 par la
France et l’île Maurice, le gouvernement a fait machine arrière mardi 11
janvier en ne le soumettant pas au vote des députés.
Depuis le début de l’année, de
l’extrême droite jusque dans les rangs du PS, les déclarations souverainistes
et même colonialistes se sont multipliées. À l’initiative de Philippe Foliot,
député UDI, soutenu par un confrère du PS et un autre de LR, une pétition a été
lancée contre ce projet. Ils le jugent « scandaleux », car il cède une partie
du territoire national, « dangereux » car il ne mettrait pas fin aux
revendications de l’île Maurice (en arrivera-t-on à voir ce petit pays
coloniser un jour tout le territoire de la France ?) et « déséquilibré »
puisqu’il n’y a aucune contrepartie. Voilà même qui pourrait aussi ouvrir la
voie à d’autres pays pour revendiquer certains de ces confettis d’îles, dites «
îles Éparses », dispersées dans les océans. « Jusqu’où la France peut-elle
se rabaisser ? », se demandent les auteurs de ce texte. Même son de cloche,
aussi virulent, du côté de l’extrême droite, où Marine Le Pen s’insurge contre
ce « mauvais coup » porté à la France qui « amputera le territoire
national ».
Alors qu’il s’agit d’un îlot de 1
km², on atteint les sommets du ridicule ! Découverte en 1722, l’île Tromelin,
alors appelée l’Île des Sables, était devenue propriété de la France, devenant
ensuite une étape dans le trafic d’esclaves entre l’Afrique et La Réunion.
Pendant des années, l’île Maurice avait revendiqué cet îlot perdu dans l’océan
Indien, mais surtout, ce qui est nettement plus intéressant économiquement pour
ce petit État, les 280 000 km² de zone économique exclusive (ZEE) offrant des
possibilités de pêche et d’exploitation des hydrocarbures.
L’accord de cogestion signé entre
les deux États avait déjà été présenté pour ratification devant le Parlement
français en 2013, le gouvernement avait reculé une première fois devant le même
genre de réactions nationalistes. À croire que la Moonwalk de Michael Jackson
est devenue l’une de ses spécialités.
Marianne
LAMIRAL (Lutte ouvrière n°2529)
L’île aux
esclaves oubliés
Tromelin, l’îlot sur lequel la
France garde jalousement sa souveraineté, est un confetti d’empire dont
l’histoire est chargée des horreurs de la colonisation. Cette page sombre
remonte au milieu du 18e siècle, quand l’île de La Réunion et l’île
Maurice avaient été colonisées par la France qui, grâce à l’esclavage, en avait
fait des possessions sucrières profitables.
En 1761, un bateau négrier,
chargé de 160 femmes, hommes et enfants malgaches, et se dirigeant vers l’île
Maurice, alors française (l’Île de France), s’échoua sur les récifs de l’îlot
inhabité. La majorité des esclaves, enfermés dans les cales, périrent noyés.
Mais l’équipage français et une soixantaine d’esclaves parvinrent à gagner
l’îlot et ils reconstruisirent un bateau plus petit avec les matériaux de
l’épave. Le capitaine repartit avec l’équipage français, laissant les esclaves
sur place en leur promettant de revenir les chercher. Mais il ne revint jamais.
Ce n’est qu’en 1776 que le
chevalier de Tromelin se rendit sur l’îlot qui allait porter son nom. Seuls
sept femmes et un enfant y avaient survécu, et ils furent emmenés sur l’Île de
France. En 1781, l’histoire des naufragés de Tromelin fut citée par Condorcet
pour dénoncer l’inhumanité de la traite négrière. Des fouilles archéologiques,
menées de 2006 à 2016, ont documenté la façon dont ces esclaves « oubliés »
avaient pu survivre, ou pas, sur cet îlot désolé d’un kilomètre carré, qui
culmine à 7 mètres, battu par les alizés et par les cyclones.
La fortune d’un pays riche comme
la France s’est bâtie avec les horreurs de l’esclavage « en suant le sang et
la boue par tous les pores », comme l’écrivait Karl Marx. Même un îlot
aussi petit que Tromelin n’en est pas indemne.
Michel
BONDELET (Lutte ouvrière n°2529)
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