Nuit
debout : l’ambiguïté d’un mouvement
Les initiatives Nuit debout ont
commencé à Paris dans la foulée de la journée de mobilisation du 31 mars contre
la loi travail, quand des manifestants ont décidé d’occuper la place de la
République. Depuis, des centaines et parfois quelques milliers de personnes
viennent débattre, tenir des assemblées générales, écouter des conférences,
suivre des projections de films contestataires, discuter entre elles...
D’autres
villes ont vu apparaître des initiatives du même genre. Et si la place de la
République a été évacuée par la police à plusieurs reprises, cela n’a pas
stoppé les rassemblements qui ont à chaque fois repris le soir même.
Ces
occupations ont eu un succès médiatique, même s’il s’agit toujours de
mobilisations au bout du compte modestes, ne serait-ce qu’au regard des autres
mobilisations contre la loi travail qui ont, elles, entraîné des centaines de
milliers de personnes, des manifestations de la jeunesse à celles organisées
par les confédérations syndicales, en passant par tous les débrayages et manifestations
qui ont eu lieu dans de nombreuses entreprises.
Nuit
debout rassemble pour l’instant essentiellement des enseignants, des
universitaires, des intermittents du spectacle, des jeunes étudiants et
lycéens. Un de ses initiateurs, François Ruffin, réalisateur du film Merci
patron, a lui-même décrit les participants en disant : « Les occupants
de la place de la République appartiennent grosso modo à la même classe que
moi, cela dit sans aucun mépris ni jugement : la petite bourgeoisie
intellectuelle, à précarité variable. » Ce milieu, indigné par la politique
du gouvernement sur la loi travail comme sur bien d’autres sujets, est venu se
joindre au mouvement existant et, à sa manière, il contribue ainsi à alimenter
le climat de contestation contre le projet gouvernemental, et c’est tant mieux.
Du rejet
des partis traditionnels... à celui de toute politique ?
Mais ces rassemblements
véhiculent aussi des idées qui, elles, ne vont pas dans le sens des intérêts
des travailleurs. Au-delà de la diversité des sujets de débats, qui vont de la
loi travail à l’état d’urgence, en passant par l’écologie ou encore la
réécriture de la Constitution, les principes revendiqués par les participants
de Nuit debout sont le rejet des partis, des organisations et, sous prétexte de
recherche de nouveauté, jusqu’au rejet de toute référence politique. Dans les
débats de Nuit debout, il est de règle de taire toute appartenance à un parti
et mal vu d’afficher des idées politiques précises. Si l’on y parle de changer
la société, c’est en disant que, sur ce plan, ce serait à chacun de tout
réinventer.
Or,
si on comprend l’écœurement suscité par les partis qui se sont succédé au
pouvoir ou ceux qui rêvent d’y accéder pour gouverner dans le sens des intérêts
capitalistes, l’idée d’organisation et de parti est au contraire fondamentale
pour les exploités. La bourgeoisie a tous les partis à son service, les
travailleurs aucun. Rejeter l’idée de parti en elle-même revient à s’opposer à
ce que les exploités se donnent leur propre parti pour défendre leurs intérêts
politiques.
Ces
principes anti organisations et antipolitiques ne menacent en rien la
domination de la bourgeoisie qui, elle, domine la société à travers ses
réseaux, ses organisations patronales, son État et même son économie. Mais, de
plus, ils ne menacent même pas la caste politique actuelle. Les politiciens les
plus usés savent s’adapter aux formulations dénonçant le « système » et les
partis. Des dirigeants écologistes aux dirigeants socialistes plus ou moins
frondeurs, en passant par Jean-Luc Mélenchon ou Pierre Laurent, tous sont venus
faire un petit tour, voire plus, à Nuit debout, pour laisser entendre que ce
mouvement rejoint leurs idées. Même Nathalie Kosciusko-Morizet du parti Les
Républicains n’a pas été gênée de déclarer qu’ « il faut aller place de la
République » pour y rencontrer « une génération qui se pose des
questions » et qui manifeste « son insatisfaction vis-à-vis de la forme
actuelle de la politique »… toute prête à dire que tout cela fait partie de
ses préoccupations.
Ne pas
recycler le réformisme
Si un mouvement comme Nuit debout
devenait massif, en restant sur la base de cet apolitisme, il ne pourrait
engendrer que des courants réformistes qui apparaîtraient ou seraient présentés
comme nouveaux, mais qui ne feraient que recycler le vieux jeu des partis
politiques bourgeois. L’histoire du mouvement des Indignés en Espagne en 2011,
qui a mobilisé des masses importantes et a débouché sur la création du nouveau
parti réformiste Podemos actuellement en train de négocier sa participation au
gouvernement espagnol, est une leçon à retenir.
En
fait, le mouvement Nuit debout ne s’adresse pas essentiellement aux
travailleurs, qui ne peuvent pas y participer en restant le jour sur leur lieu
de travail et en passant la nuit sur quelque place pour débattre de sujets les
plus divers. C’est à partir de leur entreprise, de leur quartier, que les
travailleurs peuvent se mobiliser, s’organiser, faire grève et commencer à
modifier le rapport de force en leur faveur, contre le patronat et le
gouvernement.
En
même temps, il faudra faire émerger le parti qui manque aux exploités ; un
parti capable de représenter leurs intérêts communs, c’est à dire justement
leurs interêts politiques. Il faudra que ce soit un parti qui ne se compromette
pas dans le ronron politicien et ses manœuvres, qui soit capable de fixer des
objectifs de lutte et de contribuer à mener les luttes ouvrières au maximum de
leurs possibilités. Un parti ouvrier digne de ce nom, qui prépare un véritable
changement de société, une révolution sociale, ne pourra être qu’un parti
communiste révolutionnaire.
Pierre ROYAN
Demain, quand
Arte s’intéresse aux territoires et à… Argenteuil
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