jeudi 21 juin 2012

Après le deuxième tour des législatives : un article de "Lutte Ouvrière" du 22.06.12 (en vente à la Librairie des Ecoles, boulevard Léon Feix, à côté de Monoprix, ou à la permanence du vendredi)


Après le deuxième tour des législatives, les acteurs de la politique ont changé, mais pas la politique du grand capital

Avec ses 314 députés, en comptant ceux de ses filiales directes, les Radicaux de gauche et le MRC de Chevènement, sur un total de 577 sièges, le Parti socialiste dispose donc d'une majorité à l'Assemblée nationale sans précédent depuis 1981 (le PS disposait de 285 sièges, il est vrai sur 491 à l'époque). À ce nombre, il faut ajouter les 18 députés d'Europe écologie-les Verts et les 10 du Front de gauche, qui font également partie de la majorité présidentielle.
Avec le Sénat, à majorité de gauche depuis quelques mois, Hollande dispose de ce que même Mitterrand n'a jamais eu : la mainmise sur toutes les institutions centrales de l'État, la présidence, le gouvernement, le Sénat et l'Assemblée nationale, sans oublier des positions majoritaires à des niveaux intermédiaires de l'appareil d'État (conseils régionaux, généraux, etc.).
   Et pourtant, malgré leur sensibilité exacerbée par les temps qui courent, la Bourse ne s'est pas effondrée, les marchés financiers ne se sont pas affolés. Élections pour élections, ils étaient bien plus préoccupés de celles qui avaient lieu le même jour en Grèce.
   Il n'y a même pas eu ce petit et court moment de panique qui avait accompagné l'arrivée au pouvoir de Mitterrand, touchant il est vrai les franges les plus bornées de la bourgeoisie petite et moyenne qui partaient vers la Suisse avec des valises bourrées de billets de banque, de peur que le nouveau gouvernement, qui à l'époque comportait des ministres du PC, puisse toucher à leurs fortunes ! Cette fois, il n'y a que le chef conservateur du gouvernement britannique qui a brandi la hausse de la fiscalité promise par Hollande aux plus riches Cameron a fait de la retape, en invitant ces derniers à profiter des charmes de la fiscalité britannique.
Des socialistes qui n'inquiètent pas les possédants
   C'est que le long règne de Mitterrand puis le passage de Jospin à la tête du gouvernement ont eu le temps de convaincre même les possédants les plus stupides qu'ils n'avaient rien à craindre d'un gouvernement socialiste, et peut-être même quelque chose à y gagner : la capacité d'un gouvernement de gauche à faire avaler la pilule des mesures d'austérité aux classes populaires.
   Oh, même lors de la venue au pouvoir de Mitterrand, la bourgeoisie s'était déjà fait une religion des hommes politiques arrivés au pouvoir sous l'étiquette socialiste. D'autant plus que, s'agissant de Mitterrand, cette étiquette était toute fraîche et l'homme avait un solide passé ministériel, mouillé dans bien des sales boulots en tant que ministre de la Justice pendant la guerre coloniale en Algérie.
   En réalité, à l'époque, ce n'étaient pas ces hommes politiques qui pouvaient inquiéter la bourgeoisie, mais la sensibilité éventuelle de certains d'entre eux à la pression de ceux dont les bulletins de vote les avaient portés au pouvoir. Derrière Mitterrand, il y avait aussi le PC, avec ses dizaines de milliers de militants ouvriers présents dans les entreprises, qui pouvaient être plus sensibles à la pression de leurs camarades de travail qu'aux discours conciliants des « camarades ministres ».
Eh bien, il n'y a plus rien de tel aujourd'hui !
   Toute la presse a souligné qu'avec 43,7 %, l'abstention a battu tous les records depuis 1958 au second tour d'une élection législative. L'importance de l'abstention montre assurément le peu d'enthousiasme de l'électorat populaire à l'égard de la nouvelle équipe au pouvoir. Mais ce n'est pas cette abstention qui gêne la bourgeoisie. La « grande démocratie » de l'impérialisme américain tourne très bien avec un taux d'abstention habituel de l'ordre de 40 %, voire plus.
   La montée continue du nombre des abstentionnistes préoccupe principalement les commentateurs, à qui elle permet de remplir leur temps d'antenne, pour aboutir généralement à la conclusion qu'il y a un recul du sentiment démocratique dans l'électorat. Décidément, le bon peuple n'est pas sensible aux charmes de la démocratie parlementaire !
Mais pour la bourgeoisie, cette abstention a un côté rassurant : moins les socialistes soulèvent d'enthousiasme, moins la bourgeoisie a à craindre des retours de bâton.
PCF et Front de gauche laminés
Le mode de scrutin étant fait pour favoriser la bipolarisation, le deuxième tour a encore accentué ce qui ressortait déjà du premier tour : le PS continue à laminer le PCF. L'étiquette « Front de gauche » et l'abdication derrière Mélenchon n'ont pas arrêté le mouvement. Le Front de gauche doit se contenter de dix députés alors que PC et apparentés avaient 19 élus en 2007. Le candidat du PC a été battu y compris dans des endroits symboliques comme Ivry, détenu par le PC depuis 1930, Saint-Denis ou Vénissieux.
   Tout en se félicitant que la droite ait été « bien battue », l'Humanité constatait, amère, que, malgré la progression des votes en sa faveur, le PC a obtenu moins de députés que lors de la législature précédente, au point de ne pas avoir un nombre suffisant pour pouvoir former un groupe à l'Assemblée. Loin de peser sur la politique du gouvernement de gauche, la direction du PC en est à lui quémander d'abaisser le seuil pour constituer un groupe parlementaire !
« Nous ne devons pas entrer au gouvernement », affirme Marie-George Buffet dans une interview à L'Humanité, pour ajouter aussitôt : « Nous ne sommes pas dans l'opposition mais dans la majorité de gauche de façon constructive pour réussir ! » Mais pour réussir quoi ?
Trotsky avait affirmé en substance, lors de la constitution du gouvernement de Front populaire en 1936, soutenu à l'époque de l'extérieur par le PC, que le ministérialisme sans ministre en est la forme la plus hypocrite. Le PC paie une fois de plus sa stratégie politique d'alignement derrière un PS « gérant loyal du capitalisme », comme le disait si bien Léon Blum.
   Il n'y a certainement pas à s'en réjouir. La diminution constante de l'influence électorale du PC au profit du PS est l'expression du fait que la majorité de gauche à l'Assemblée n'est pas du tout le signe d'une poussée à gauche dans l'électorat mais, au contraire, d'une évolution vers la droite.
   À l'autre bout de l'éventail politique, le FN tire profit du même mouvement. Ce n'est certes pas en soi l'entrée de deux députés du FN dans ce moulin à paroles qu'est l'Assemblée qui pose problème. Mais elle est le reflet d'un mouvement de l'opinion vers l'extrême droite qui a contaminé jusqu'à l'électorat populaire.
   Il est déjà significatif que Marine Le Pen ait obtenu au premier tour 22 460 voix, soit 42,26 % des votes exprimés, dans une ville très populaire, Hénin-Beaumont, fief du PS pendant longtemps. Mais il est peut-être plus significatif encore qu'entre le premier et le second tour Marine Le Pen ait récolté 4 234 voix supplémentaires, en les trouvant parmi les abstentionnistes du premier tour.
Le fait que le candidat socialiste soit passé devant Marine Le Pen, à une centaine de suffrages près, constitue une maigre consolation.
L'austérité à l'ordre du jour
    La veille du deuxième tour, Le Monde titrait en une : « Et maintenant, quelle rigueur prépare la gauche ? » Ce qui était formulé encore comme une question la veille de l'élection, est devenu une affirmation dans tous les commentaires, le soir de l'annonce des résultats et le lendemain. Tous ces journalistes, tous ces économistes distingués ont-ils découvert la chose en une nuit et pendant le week-end ? Bien sûr que non ! Toute la corporation savait que la politique qui serait menée ne dépendrait en rien des résultats des élections, mais de ce que le grand patronat allait exiger une fois le spectacle électoral terminé. Ils le savaient, mais ils ne le disaient pas !
   En effet le gouvernement socialiste est désormais sommé de prendre les décisions exigées par le grand patronat et par les grandes banques.
Quelle sera la priorité dans l'enchaînement des mesures de rigueur ? Les classes populaires ne tarderont pas à le découvrir, car c'est à leur détriment que ces mesures seront prises, quelles que soient les dénominations dont on les affublera.
   Le nouveau gouvernement a eu un délai de grâce dû au fait que les élections grecques n'ont pas abouti à un chaos, avec l'impossibilité de former un gouvernement et le risque qui en découlait que la Grèce quitte la zone euro ou qu'elle en soit chassée. Mais le soubresaut financier qui pouvait en résulter dans l'immédiat n'a été que retardé, et la crise pourrait éclater à propos d'autre chose en Grèce... ou ailleurs, en Espagne ou en Italie par exemple.
   Et, au-delà de la menace permanente de nouvelles convulsions financières, il y a de toute façon le marasme de l'ensemble de l'activité économique. S'il se prolonge en s'aggravant, comme tout le laisse penser pour le moment, il affectera toutes les classes populaires.
   La droite et l'extrême droite dans l'opposition auront pour stratégie de rejeter sur le gouvernement socialiste toutes les conséquences de la crise de l'économie capitaliste et de l'offensive du grand patronat. Et, par-dessus le gouvernement, la droite et l'extrême droite s'efforceront de rendre responsable de tout cela la classe ouvrière, ses « exigences », son « incapacité à s'adapter à la situation de crise » ou son « refus des sacrifices ». Et de reprocher au gouvernement socialiste de ne pas oser affronter les travailleurs ou les syndicats pour procéder à des « réformes courageuses », dans le genre de celles qu'a prises Sarkozy pour repousser l'âge de la retraite et pour vider les poches des retraités.
   Il sera de plus en plus important dans ce contexte qu'apparaisse une force rejetant la fausse opposition entre la politique menée par la gauche au gouvernement et celle de la droite et de l'extrême droite, représentant l'une comme l'autre les intérêts de la bourgeoisie. Une force politique pour affirmer clairement les intérêts, diamétralement opposés à tous ceux-là, de la classe ouvrière. Et aussi pour montrer aux catégories laborieuses non salariées que ce ne sont pas les revendications des travailleurs qui les ruinent, mais les banques et les grands groupes capitalistes de l'industrie et de la distribution, et que l'intérêt, aussi bien matériel que politique, de tous ceux qui vivent de leur travail est de se retrouver côte à côte, dans un combat commun contre le grand capital.


                                                                                     Georges KALDY

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