« …En présence des prolétaires armés, obstacles, résistances,
impossibilités, tout disparaîtra… »
Auguste
Blanqui dit « L’enfermé » fut une des grandes personnalités
militantes du mouvement ouvrier au XIXème siècle, qui passa une partie notable
de sa vie en prison. Réfugié à Londres après l’écrasement des ouvriers
parisiens durant les Journées de juin 1848, dans une réunion un an plus tard,
il prit la parole avec un texte qui demeure une référence dans l’histoire du
mouvement ouvrier sous le nom de « toast de Londres ». Il y tire un
certain nombre de conclusions de cette sanglante mais très riche expérience de
Juin.
En février 1848, c’est sur le ton de la
fraternité entre les classes que les serviteurs de la bourgeoisie installés au
pouvoir, les Lamartine et consorts, avaient gavé de mots ronflants et d’illusions
les ouvriers parisiens. Mais l’issue de Juin avait dévoilé la nature profonde
de la société capitaliste : un affrontement sanglant de deux classes aux
intérêts fondamentalement contradictoire et qui exige quand l’une d’entre elles
a le pouvoir la soumission de l’autre, sans échappatoire possible. C’est sur
cette leçon que revient Blanqui dans ce texte, une leçon que les travailleurs
de 2020 doivent à nouveau entendre et assimiler.DM
Quel écueil menace la révolution
de demain ?
L'écueil où s'est brisée celle
d'hier : la déplorable popularité de bourgeois déguisés en tribuns.
Ledru-Rollin, Louis Blanc,
Crémieux, Lamartine, Garnier-Pagès, Dupont de l'Eure, Flocon, Albert, Arago,
Marrast !
Liste funèbre ! Noms sinistres,
écrits en caractères sanglants sur tous les pavés de l'Europe démocratique.
C'est le gouvernement provisoire
qui a tué la Révolution. C'est sur sa tête que doit retomber la responsabilité
de tous les désastres, le sang de tant de milliers de victimes.
La réaction n'a fait que son
métier en égorgeant la démocratie.
Le crime est aux traîtres que le
peuple confiant avait acceptés pour guides et qui l'ont livré à la réaction.
Misérable gouvernement ! Malgré
les cris et les prières, il lance l'impôt des 45 centimes qui soulève les
campagnes désespérées, il maintient les états-majors royalistes, la
magistrature royaliste, les lois royalistes. Trahison !
Il court sus aux ouvriers de
Paris ; le 15 avril, il emprisonne ceux de Limoges, il mitraille ceux de Rouen
le 27 ; il déchaîne tous leurs bourreaux, il berne et traque tous les sincères
républicains. Trahison ! Trahison !
A lui seul, le fardeau terrible
de toutes les calamités qui ont presque anéanti la Révolution.
Oh ! Ce sont là de grands
coupables et entre tous les plus coupables, ceux en qui le peuple trompé par
des phrases de tribun voyait son épée et son bouclier; ceux qu'il proclamait
avec enthousiasme, arbitres de son avenir.
Malheur à nous, si, au jour du
prochain triomphe populaire, l'indulgence oublieuse des masses laissait monter
au pouvoir un de ces hommes qui ont forfait à leur mandat ! Une seconde fois,
c'en serait fait de la Révolution.
Que les travailleurs aient sans
cesse devant les yeux cette liste de noms maudits ! Et si un seul apparaissait
jamais dans un gouvernement sorti de l'insurrection, qu'ils crient tous, d'une
voix : trahison !
Discours, sermons, programmes ne
seraient encore que piperies et mensonges ; les mêmes jongleurs ne
reviendraient que pour exécuter le même tour, avec la même gibecière ; ils
formeraient le premier anneau d'une chaîne nouvelle de réaction plus furieuse !
Sur eux, anathème, s'ils osaient
jamais reparaître !
Honte et pitié sur la foule
imbécile qui retomberait encore dans leurs filets !
Ce n'est pas assez que les
escamoteurs de Février soient à jamais repoussés de l'Hôtel de Ville, il faut
se prémunir contre de nouveaux traîtres.
Traîtres seraient les
gouvernements qui, élevés sur les pavois prolétaires, ne feraient pas opérer à
l'instant même :
1° - Le désarmement des gardes
bourgeoises.
2° - L'armement et l'organisation
en milice nationale de tous les ouvriers.
Sans doute, il est bien d'autres
mesures indispensables, mais elles sortiraient naturellement de ce premier acte
qui est la garantie préalable, l'unique gage de sécurité pour le peuple.
Il ne doit pas rester un fusil
aux mains de la bourgeoisie. Hors de là, point de salut.
Les doctrines diverses qui se
disputent aujourd'hui les sympathies des masses, pourront un jour réaliser
leurs promesses d'amélioration et de bien-être, mais à la condition de ne pas
abandonner la proie pour l'ombre.
Les armes et l'organisation,
voilà l'élément décisif de progrès, le moyen sérieux d'en finir avec la misère.
Qui a du fer, a du pain.
On se prosterne devant les
baïonnettes, on balaye les cohues désarmées. La France hérissée de travailleurs
en armes, c'est l'avènement du socialisme.
En présence des prolétaires
armés, obstacles, résistances, impossibilités, tout disparaîtra.
Mais, pour les prolétaires qui se
laissent amuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plantations
d'arbres de la liberté, par des phrases sonores d'avocat, il y aura de l'eau
bénite d'abord, des injures ensuite, enfin de la mitraille, de la misère
toujours.
Que le peuple choisisse !
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