Rouen :
Lubrizol doit payer !
02 Octobre 2019
Circulez, il n’y a rien à voir !
C’est ce que, après l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen, le 26 septembre,
les autorités ont répété pendant plusieurs jours. Pas moins de cinq ministres
et le Premier ministre sont venus sur place pour rassurer la population.
« Les odeurs gênantes ne
sont pas dangereuses », a déclaré Édouard Philippe. « Il n’y a
pas de risque avéré pour la population », a surenchéri Castaner.
« Les fumées ne sont pas toxiques », ont repris en boucle les
autorités… tout en demandant aux habitants de rester chez eux et aux
agriculteurs de suspendre leur récolte. « Il n’y a pas de danger grave
et immédiat pour les habitants », a expliqué le maire PS Yvon Robert,
transformé en avocat bénévole de Lubrizol et expliquant que « cette
entreprise est toujours disponible pour améliorer la situation et n’a jamais
hésité à dépenser pour accroître la sécurité».
La réalité est tout autre. Des
centaines de personnes ont été incommodées, ont eu des nausées et des maux de
tête, voire ont dû quitter leur domicile. La Seine a été polluée. L’incendie,
qui a débuté dans la zone de stockage des expéditions de cette usine un peu
avant 3 heures du matin, n’a pu être circonscrit que vers 18 heures. Un pompier
intervenu dans la nuit, face à des flammes de 20 mètres de haut, avec des
milliers de fûts éventrés, a raconté ses craintes d’avoir été exposé à des
substances toxiques, alors qu’il n’avait qu’un pauvre masque en papier. Cette
usine produit des additifs pour les huiles et les carburants et ces produits se
sont enflammés, entraînant un nuage de fumées noires. Ce nuage, poussé par le
vent et rabattu par la pluie, a pollué une partie de l’agglomération rouennaise
et des zones plus rurales au nord-est. Une suie grasse accompagnée d’une
pellicule d’hydrocarbure a recouvert les sols et les habitations.
Mardi 1er octobre, cinq jours
après l’incendie, malgré les propos lénifiants des autorités, l’inquiétude
reste vive dans la population. Environ 5 000 personnes ont participé à la
manifestation appelée par plusieurs syndicats (CGT, Sud), associations et ONG
(Attac, Greenpeace…) pour dénoncer le manque de transparence des autorités et
de l’entreprise. Si les panaches noirs des fumées d’hydrocarbures ont disparu,
il subsiste des zones de l’agglomération où l’odeur qui imprègne les bâtiments
persiste et génère des malaises. Ainsi les locaux de France 3 Normandie, situés
sur le passage du nuage de pollution, étaient toujours impraticables lundi.
Dans certaines écoles qui rouvraient lundi matin, l’atmosphère était
irrespirable au point que des enseignants ont exercé leur droit de retrait,
notamment à Petit-Quevilly et sur les hauteurs de Rouen. Et, dans de nombreuses
autres, seules les activités intérieures étaient possibles, tant l’odeur reste
incommodante à l’extérieur. Une centaine de conducteurs de cars de
l’agglomération sont en arrêt maladie, après avoir été incommodés par la
pollution. L’incendie de Lubrizol rappelle aux 400 000 habitants de
l’agglomération qu’ils habitent sur une poudrière : Rouen et sa banlieue
comptent 26 sites Seveso, dont 13 en seuil haut.
L’activité agricole est frappée
dans 112 communes de la Seine-Maritime et dans 94 autres situées dans l’Oise,
la Somme, l’Aisne et le Nord – les fumées sont parvenues jusqu’en Belgique. Des
champs sont souillés, des bestiaux tachés, et des traces noires dégoulinent de
certaines ruches. Dans ces communes, les récoltes sont interdites et les
produits déjà récoltés ne peuvent être commercialisés, dans l’attente des
résultats d’analyses qui ne seront connus que dans plusieurs jours. Les
producteurs de lait sont dans l’obligation de détruire leur production
quotidienne, faute de moyens pour la stocker. Les compagnies laitières
(Lactalis, Danone…) n’assurent plus le ramassage d’un lait dont elles ne savent
pas si elles pourront le commercialiser. Des éleveurs font état de 500 à 700
euros de perte quotidienne. Il en est de même pour les maraîchers, qui ne
peuvent écouler leur production, même s’ils sont établis en dehors de la zone
exposée, car les consommateurs se méfient de la provenance des légumes. Lundi,
le ministre de l’Agriculture s’est rendu sur une exploitation agricole ;
il a promis aux éleveurs une avance de trésorerie et annoncé que les laiteries
allaient devoir reprendre leurs tournées. Mais, en attendant, qu’en sera-t-il
des pertes ?
Lubrizol est évidemment
responsable de tous ces dommages et doit payer. Il ne s’agit pas d’une PME en
difficulté, mais d’une multinationale propriétaire d’une centaine d’usines, au
chiffre d’affaires de 6,8 milliards de dollars. Les autorités ne cessent de
vanter Lubrizol pour son respect scrupuleux des mesures de sécurité. Cette
usine classée Seveso « seuil haut » a un lourd passé de pollueuse,
l’épisode le plus connu étant le dégagement de mercaptan, un gaz malodorant, en
2013 – une pollution pour laquelle elle avait dû payer une amende dérisoire de
4 000 euros. Pendant l’incendie, toute la toiture, en fibrociment à base
d’amiante, s’est écroulée. Et jusqu’au soir du 1er octobre, plus de cinq jours
après le sinistre, la préfecture a refusé de communiquer la liste des produits
chimiques dont 5353 tonnes ont brûlé, une liste pourtant connue depuis le
début. Jusqu’au bout, les autorités ont été complices des pollueurs de
Lubrizol.
Afin d’allumer un contre-feu, la
direction de l’entreprise a eu le culot de porter plainte contre X pour
« destruction involontaire ». S’appuyant sur son statut de premier
exportateur de Haute-Normandie, Lubrizol espère l’impunité dont elle a
bénéficié jusqu’ici… y compris avec un chantage sur l’avenir de ses salariés.
Les 400 ouvriers de l’usine, dont certains ont joué un rôle salutaire pendant l’incendie
en éloignant des stocks de produits dangereux, sont maintenant au chômage
partiel.
Lubrizol doit bien sûr payer pour
maintenir les emplois et pour réparer tous les dommages qu’elle a causés. Mais,
au-delà de cet épisode, il n’est pas acceptable que des activités aussi
dangereuses que la pétrochimie continuent d’être soumises au profit privé.
Correspondant
LO (Lutte ouvrière n°2670)
Vendredi
4 octobre à 22 heures, Nathalie ARTHAUD
au Débat
de LCI
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