Il y a
trente ans : l’assassinat de Thomas Sankara
Le 15 octobre 1987, le capitaine
Thomas Sankara, au pouvoir à la tête du Burkina Faso depuis 1983, était
assassiné par les troupes de son « ami » Blaise Compaoré. Ce coup d’État
mettait un terme à quatre brèves années d’un régime qui affirmait vouloir
moderniser le pays, combattre la corruption et s’émanciper de la tutelle de
l’impérialisme français.
Trente ans plus tard, la veuve de
Sankara continue de se battre pour connaître les responsables de ce coup
d’État. Au Burkina Faso, Blaise Compaoré a certes été chassé du pouvoir en 2014
par une révolte populaire après 27 ans de dictature. Mais l’actuel président
Kaboré et de nombreux ministres étaient en place sous Compaoré. Complices, ils
n’ont aucune envie que la vérité soit connue.
Malgré les promesses répétées de
Hollande, les archives françaises restent inaccessibles au nom du secret
défense. Et pour cause ! Tout indique que les réseaux de la Françafrique ont
orchestré l’assassinat de Sankara.
Ainsi François Mitterrand, en
visite à Ouagadougou, déclarait un an avant le coup d’État : « Ce jeune
président dérange [...] Il empêche de dormir [...] Il a le
tranchant d’une belle jeunesse » mais « il tranche trop, il va plus loin
qu’il ne faut. »
Mitterrand reprochait à Sankara
de dénoncer publiquement la politique néo-coloniale de la France dans ses
anciennes colonies. Il lui reprochait d’afficher ouvertement son mépris pour
les chefs d’État africains corrompus à commencer par Houphouët-Boigny,
dictateur de la Côte d’Ivoire voisine et gendarme de la France dans cette
partie de l’Afrique.
Un
officier tiers-mondiste
Sankara n’était pas arrivé au
pouvoir en s’appuyant sur la mobilisation des classes populaires et il n’était
pas communiste. C’était un jeune officier de l’armée, révolté comme d’autres de
sa génération par la misère et la corruption qui sévissait dans son pays. Nourri
par les idées tiers-mondistes de l’un de ses professeurs, nommé à la tête du
centre d’entraînement des commandos de l’armée, Sankara allait entreprendre de
former des « soldats citoyens ». Avec d’autres jeunes officiers, il organisa le
7 novembre 1982 un coup d’État contre Saye Zerbo, ancien parachutiste de
l’armée française durant les guerres d’Indochine et d’Algérie. Puis, en août
1983, Thomas Sankara et Blaise Compaoré écartèrent du pouvoir l’aile modérée de
leur mouvement.
Dans son discours d’orientation
politique, Sankara affirmait vouloir sortir le pays du Moyen-âge, ouvrir des
écoles pour lutter contre l’analphabétisme, permettre l’accès des femmes à
l’éducation et à la culture, développer des campagnes de vaccination. Un tel
programme n’était pas réalisable dans un pays pauvre au budget dérisoire, et
subissant la domination impérialiste sur l’Afrique. Tenter d’en finir avec
celle-ci n’était pas la perspective de Sankara. Mais il mit ses actes en accord
avec ses paroles, rompit avec les pratiques de tous ses prédécesseurs pour
réserver l’essentiel des ressources du pays à la population.
La lutte
contre la corruption
Sankara fit de la lutte contre la
corruption le marqueur de son régime. L’une de ses premières mesures fut de
changer le nom du pays, la Haute Volta, en Burkina Faso, autrement dit le Pays
des hommes intègres. Tandis que les chefs d’État africains mesuraient leur
pouvoir à la taille de leurs limousines, Sankara et ses ministres circulaient
en Renault Cinq et voyageaient dans les classes économiques des avions de
ligne. Ces pratiques, symboliques, tranchaient avec la corruption généralisée
en Afrique. Elles ont contribué à l’estime et à l’image dont bénéficie encore
Sankara parmi les classes populaires et la jeunesse africaine, bien au-delà du
Burkina.
Mais de tels mœurs étaient un
camouflet pour les acteurs de la Françafrique. Ils démontraient que l’on
pouvait gouverner un pays sans rançonner sa population. Le président ivoirien
Houphouët-Boigny, avec l’aval sinon sur ordre de Mitterrand et Chirac à Paris,
poussa Blaise Campaoré à abattre Sankara.
L’exécution de Sankara montre que
les puissances impérialistes ne toléreront jamais un régime un tant soit peu
indépendant s’il ne s’appuie pas sur une forte mobilisation populaire. Elle
montre surtout que les exploités ne pourront pas sortir du sous-développement
sans remettre en cause la domination impérialiste sur l’Afrique et sur le
monde, autrement dit sans renverser le capitalisme.
1 commentaires:
Arrivé au Burkina début septembre 1987, j'ai vu une seule fois Thomas Sankara, un instant. Bloqué par une barrière de police, avec d'autres passants, à un carrefour avec le boulevard de la Révolution (ex-avenue de l'Indépendance), celui qui mène à la Présidence de l'époque, et me demandant pourquoi ce barrage, j'ai vu passer un cortège avec une 205 noire (eh oui, pas une R5 ! même si l'Histoire a bien retenu la R5). L'avant-bras passé par la fenêtre ouverte, Thomas Sankara saluait amicalement, avec son grand sourire, nous autres passants arrêtés. Les gens autour de moi répondaient, mollement. J'en retiens un sentiment de bienveillance et de fatigue. Voilà, je n'ai croisé le capitaine et président Sankara qu'une ou deux secondes, juste assez pour confirmer qu'il se passait avec bonne humeur des limousines climatisées :-)
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