Le 5 mai
: un nouveau gouvernement demandé par l’impérialisme pour continuer la guerre
Un peu plus de deux mois après la
révolution, le 5 mai 1917 (18 mai selon notre calendrier), un nouveau
gouvernement provisoire se met en place : les ministres libéraux les plus en
vue en sont écartés et cinq socialistes, appartenant à différentes organisations,
rejoignent Kérenski, qui était depuis la révolution le seul « socialiste »
membre du gouvernement provisoire. Les dirigeants du Soviet de Petrograd, où
les bolcheviks demeurent encore minoritaires, apportent leur soutien à cette
coalition. Dans L’Histoire de la révolution russe, Trotsky revient sur
les sentiments qui animent alors les ouvriers et les soldats.
« Les masses, dans la mesure où
elles ne suivaient pas encore les bolcheviks, tenaient toutes pour l’entrée des
socialistes dans le gouvernement. S’il est bon qu’un Kérenski soit ministre,
six Kérenski vaudront encore mieux. Les masses ne savaient pas que cela
s’appelle une coalition avec la bourgeoisie, et que celle-ci voulait se
dissimuler derrière les socialistes pour agir contre le peuple. À la caserne,
l’on entrevoyait la coalition autrement qu’au palais Marie. Les masses
voulaient, au moyen des socialistes, évincer la bourgeoisie du gouvernement.
C’est ainsi que deux pressions allant en sens contraires se combinèrent un
moment en une seule. (…) Pour la coalition se déclarait enfin l’armée. Un de
ses délégués n’exprima pas mal, plus tard, en juin, au Congrès des soviets,
l’attitude du front à l’égard du pouvoir : “Nous pensions que la plainte qui
échappa à l’armée, quand elle apprit que les socialistes ne voulaient pas
entrer dans le ministère, travailler en commun avec des hommes en qui ils
n’avaient pas confiance, tandis que toute l’armée était forcée de continuer à
mourir avec des hommes en qui elle ne croyait pas – nous pensions que cette plainte
avait été entendue à Petrograd.”
Dans cette question comme dans
toutes les autres, la guerre avait une importance décisive. Les socialistes se
disposaient d’abord à surseoir devant la guerre, comme devant le pouvoir, à
gagner du temps. Mais la guerre n’attendait pas. Les Alliés non plus. Le front
ne voulait plus attendre. »
Dans le nouveau gouvernement, les
socialistes disposent de six portefeuilles sur quinze. Selon Trotsky, « ils
voulaient être en minorité. Même après s’être décidés à participer ouvertement
au pouvoir, ils continuaient à jouer à qui perd gagne. Le prince Lvov restait
premier ministre. Kérenski devenait ministre de la Guerre et de la Marine.
Tchernov ministre de l’Agriculture. Milioukov, au poste de ministre des
Affaires étrangères, fut remplacé par un fin connaisseur des ballets d’opéra,
Téréchtchenko, qui devint en même temps l’homme de confiance de Kérenski et de
Buchanan. (…) À la tête de la Justice fut placé l’insignifiant avocat
Péréversev, qui obtint dans la suite une éphémère célébrité, en juillet, à
l’occasion du procès des bolcheviks. Tsérételi se contenta du portefeuille des
Postes et Télégraphes, afin de garder son temps pour le Comité exécutif.
Skobélev, devenu ministre du Travail, promit, dans un moment de chaleur, de réduire
les bénéfices des capitalistes à cent pour cent intégralement – et cette phrase
vola bientôt de bouche en bouche. Pour faire symétrie, on nomma comme ministre
du Commerce et de l’Industrie un très gros entrepreneur moscovite, Konovalov.
Il amena avec lui quelques personnages de la Bourse de Moscou, à qui furent
confiés des postes très importants dans l’État. D’ailleurs, dans les quinze
jours, Konovalov donnait déjà sa démission, protestant par ce moyen contre «
l’anarchie » dans l’économie générale, tandis que Skobélev, même avant lui,
avait renoncé à attenter aux bénéfices et s’occupait de lutter contre
l’anarchie : il étouffait les grèves, invitant les ouvriers à se restreindre
eux-mêmes. »
Les dirigeants de l’impérialisme
français et anglais avaient joué un rôle décisif dans la formation de ce
gouvernement.
La tournée de Kérenski aux armées
devait le confirmer : « Dès le 11 mai, Kérenski partait pour le front,
ouvrant une campagne d’agitation pour l’offensive. “La vague d’enthousiasme
dans l’armée grandit et s’élargit”, écrivait au gouvernement provisoire le
nouveau ministre de la Guerre tout haletant dans l’enivrement de ses propres
discours. Le 14 mai, Kérenski édicte un ordre aux armées : “Vous irez là où
vous conduiront vos chefs”, et pour embellir cette perspective bien connue et
peu séduisante pour les soldats, il ajoutait : “Vous porterez la paix à la
pointe de vos baïonnettes” ».
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