Le
Septembre noir des Palestiniens
30 Septembre 2020
En septembre 1970, dix jours
durant, l’artillerie du roi Hussein de Jordanie pilonna les camps de réfugiés
palestiniens installés dans le pays, avant que ses troupes y massacrent
combattants et population. Le 27 septembre 1970 au Caire, Hussein et le dirigeant
de l’OLP Yasser Arafat se congratulaient comme si de rien n’était, sous l’égide
du Président de la République égyptienne Gamal Abd el Nasser. Cet épisode
sanglant de la tragédie du peuple palestinien allait rester dans l’histoire
sous le nom de Septembre noir.
L’armée jordanienne voulait
écraser les combattants palestiniens, les fedayin, basés en Jordanie sur la
rive est du Jourdain, et la population civile palestinienne réfugiée, dans
certains cas depuis plus de vingt ans, dans les mêmes quartiers, villages et
camps de toile. Le Croissant rouge palestinien dénombra alors 3 440 tués,
10 840 blessés, et des milliers de familles laissées sans toit.
Lors de la création de l’État
d’Israël, en 1948, 700 000 Palestiniens qui vivaient là, selon un rapport
onusien de l’époque, avaient dû tout quitter. Réfugiés en grande partie en
Cisjordanie voisine, ils y rejoignirent les 500 000 habitants déjà
présents, gagnant aussi Gaza, le Liban, la Syrie et la Jordanie. Puis la guerre
israélo-arabe de 1967, la guerre des Six-jours, entraîna un nouvel exode de
réfugiés, consécutif à l’occupation israélienne de la Cisjordanie. Les
Palestiniens finirent alors par constituer près des deux tiers de la population
de la Jordanie.
La défaite piteuse, en six jours,
des armées égyptienne, jordanienne, syrienne face à l’agresseur israélien,
changea le regard des masses palestiniennes sur les dirigeants des « États
frères » arabes, qui affichaient pourtant depuis des années un soutien à leur
cause. C’était même eux qui avaient financé la création, en 1964, de
l’Organisation de libération de la Palestine, l’OLP, avant tout dans
l’intention de poser un cadre, leur cadre, à la révolte palestinienne montante.
Mais bien plus que des territoires – Gaza et le Sinaï pour l’Égypte, le Golan
pour la Syrie, et la Cisjordanie ainsi que Jérusalem-Est pour la Jordanie – que
ces États durent céder en juin 1967, ils perdirent leur crédit auprès de leur
propre population pauvre, à laquelle l’injustice de la situation des
Palestiniens parlait directement, en écho à ses propres aspirations. Ils
perdirent également toute crédibilité auprès de ceux qui demeuraient privés des
droits élémentaires, les Palestiniens eux-mêmes.
Aux yeux de milliers de jeunes
Palestiniens révoltés, la démonstration était faite que ce n’était pas du côté
des dirigeants arabes, pas même du progressisme revendiqué par Nasser, qu’il
fallait attendre une solution. Les organisations nationalistes prônant la lutte
armée suscitaient bien plus d’enthousiasme.
C’est dans les camps de Jordanie
que s’organisaient alors les milices des organisations nationalistes
palestiniennes, comme le Fatah de Yasser Arafat, le FPLP de Georges Habache et
le FDPLP de Nayef Hawatmeh. La réussite de leurs opérations de commandos contre
les forces israéliennes, la radicalité de leur discours, attiraient vers les
rangs des fedayin une jeunesse désireuse de changer le monde. Ces années furent
celles d’un nouvel espoir, nourri de la conscience politique et de la lutte de
ceux qui ne voulaient pas être la génération sacrifiée par les calculs des
impérialistes au Proche et Moyen-Orient. L’OLP, dont Arafat devint le dirigeant
en titre en 1969, était désormais contrôlée par les organisations qui, outre
leur détermination, offraient aux jeunes fedayin la perspective d’une
libération nationale de toute la Palestine.
Plusieurs facteurs contribuaient
alors à susciter l’inquiétude des régimes arabes voisins. La popularité du
mouvement des Palestiniens allait croissant. Présents dans tous les pays de la
région, ils éveillaient un espoir et un sentiment d’unité non seulement parmi
les leurs, mais au sein des masses opprimées voisines, fellahs égyptiens,
ouvriers syriens et travailleurs des industries pétrolières. Et même si l’OLP,
dans ses appels au soutien des masses populaires arabes, ne voulait nullement
s’adresser à la classe ouvrière et à la paysannerie pauvre comme à des frères
de classe, et encore moins remettre en cause les régimes en place, elle
suscitait la méfiance des Nasser et autres militaires au pouvoir dans les pays
voisins. Les combattants de la cause palestinienne, l’enthousiasme dont ils
étaient porteurs, pouvaient enflammer d’autres révoltes sous-jacentes,
déstabiliser toute la région. À leur corps défendant, et surtout contre la
volonté de leurs propres dirigeants, ils représentaient aux yeux de toute la
région des aspirations révolutionnaires communes, et les dirigeants des États
allaient le leur faire payer.
Les dirigeants jordaniens, sur un
territoire désormais peuplé aux deux tiers de Palestiniens, faisaient face à
40 000 fedayin organisés, contrôlant ainsi une partie du pays. C’était
bien plus insupportable pour le régime que l’existence de vingt députés
palestiniens au Parlement d’Amman. Le prétexte pour écraser les fedayin et les
réfugiés fut fourni par le plan Rogers, un des premiers avatars de plans de
paix dans la région qui, comme ses successeurs, n’était qu’un ramassis de
paroles creuses ne tenant aucun compte des revendications palestiniennes.
Plébiscité par les États-Unis comme par l’URSS, accepté par des États arabes
comme l’Égypte de Nasser, il fut évidemment rejeté par les organisations
palestiniennes. Le roi Hussein de Jordanie se chargea alors de la sale besogne
consistant à mettre un coup d’arrêt aux activités des groupes de fedayin et du
même coup aux espoirs suscités dans le monde arabe par la lutte palestinienne.
Hussein agit avec le soutien
explicite des États-Unis, celui plus hypocrite de l’URSS, et le silence
complice des États arabes voisins. Ces derniers, malgré quelques protestations
verbales, laissèrent écraser le peuple palestinien. Il fallut ensuite près d’un
an au monarque pour éradiquer les dernières positions des fedayin. Il
communiquait le 17 juillet 1971 : « Les incidents avec les fedayin sont
terminés. Désormais le calme règne dans le royaume. »
Chassés de Jordanie et réfugiés
en partie au Liban, les organisations et le peuple palestiniens allaient encore
subir bien d’autres répressions et d’autres massacres, notamment ceux perpétrés
pendant la guerre civile libanaise par les milices d’extrême droite aidées par
l’armée syrienne, ou plus tard, ceux des camps de Sabra et Chatila, accomplis
avec la collaboration cette fois de l’armée israélienne.
Le roi de Jordanie, Hussein,
n’avait au fond que tiré les premiers coups de feu. Pendant des années ensuite,
les différents dirigeants arabes allaient se montrer, au moins autant que ceux
de l’État d’Israël, les ennemis du peuple palestinien, n’ayant de cesse d’avoir
éteint le danger révolutionnaire qu’avait représenté pendant quelque temps ce
peuple mobilisé.
Jusqu’à aujourd’hui, le peuple
palestinien, grand spolié des manœuvres impérialistes au Moyen-Orient, a
continué à voir ses droits fondamentaux bafoués, dont le droit à avoir sa
propre existence nationale et son propre État. Il a été, malgré son courage,
repoussé, enfermé dans des territoires occupés, de plus en plus morcelés par la
politique de colonisation croissante qui sert de drapeau au gouvernement
israélien, et en butte à l’hostilité des dirigeants arabes.
Il reste de ces combats et de ces
répressions successives une leçon : les populations du Moyen-Orient ne
pourront se libérer de l’emprise de l’impérialisme qu’ensemble, en renversant
toutes les structures politiques construites pour les opprimer et les diviser,
en Israël comme dans les États arabes. Cet espoir révolutionnaire, que les
combattants palestiniens ont incarné durant quelques années, devra tôt ou tard
renaître.
Viviane
LAFONT (Lutte ouvrière n°2722)