Comités
d’usines, soviets, le pouvoir ouvrier
En avril 1917, un peu plus d’un
mois après la victoire de la révolution à Petrograd et l’abdication de Nicolas
II, les travailleurs s’organisent de plus en plus indépendamment du
gouvernement provisoire, et bien souvent contre la volonté de celui-ci. Des comités
sont élus au niveau des ateliers, des usines, des quartiers ouvriers et des
villes. Ce sont des lieux de débat où chacun peut s’exprimer et apprendre, mais
également des instances de décision où s’affirment la puissance et la
conscience de la classe ouvrière.
Un ouvrier rapporte comment le
soviet de sa ville, Saratov, située à 850 km au sud-est de Moscou, est mis en
place et étend son influence : « Il y a cinq jours que le soviet des députés
ouvriers et soldats s’est organisé ici. Mais il semble que plusieurs années se
soient écoulées ici. Tout a changé. Les masses se sont organisées dans un élan
de spontanéité remarquable. Un travail fébrile règne partout. Les derniers
vestiges de ce passé à la fois récent et lointain s’écroulent. On édifie et on
construit une nouvelle vie, un nouvel ordre. (…) Le soviet des députés ouvriers
s’est organisé en 24 heures. À la première réunion, il y avait déjà des
représentants de 49 entreprises, soit 88 personnes. À l’heure actuelle, on peut
dire que toutes les entreprises de Saratov sont représentées au soviet : 213
représentants de 79 entreprises. L’influence du soviet ne cesse d’augmenter.(…)
Le soviet compte aujourd’hui 44 représentants de soldats.(…)
Peu après, des informations nous
sont parvenues, selon lesquelles les paysans des villages environnants étaient
en train d’élire leurs représentants au soviet des députés ouvriers. Des
délégués des villes de la région commencent à arriver. Ainsi, en cinq jours, le
soviet est devenu une organisation importante, exerçant une influence des plus
sérieuses sur la vie environnante et sur les décisions à prendre dans l’intérêt
de la révolution. (…) la liberté de parole, de réunion et de presse devient une
réalité. Des meetings ont lieu chaque jour dans les théâtres, les salles de
conférence, etc. Des tracts ont été distribués aux soldats, à la population,
aux ouvriers, avec pour mot d’ordre : l’Assemblée constituante et la République
démocratique. En un instant, des milliers de tracts ont été épuisés. Le journal
Izvestia des députés ouvriers est tiré à un grand nombre d’exemplaires. Et le
comité exécutif a reçu des demandes de littérature politique de la part de
diverses localités de Saratov. »
Une des premières mesures de ces
soviets est la constitution d’une milice, dont les anciens fonctionnaires de
police sont exclus. Partout, et sans attendre, les travailleurs tentent en
effet d’imposer leurs propres décisions et « l’autogouvernement des usines ».
Ainsi, dans la fabrique de câbles de Petrograd, le comité ouvrier est doté des pouvoirs
suivants :
« Autoriser les travaux
supplémentaires ; organiser l’élection des représentants ouvriers aux chambres
de conciliation ; surveiller les conditions sanitaires de l’usine ;
Contrôler l’embauche et le
licenciement des ouvriers ; établir des rapports avec les ouvriers des autres
usines ; organiser des réunions ;
Défendre les intérêts des
ouvriers auprès de l’administration ; régler avec l’administration les
problèmes des salaires ; organiser avec elle des accords sur les questions de
congé ;
Représenter les travailleurs
auprès de l’administration dans toutes les questions d’intérêt général, les
ouvriers ne devant pas s’adresser individuellement à elle. »
Un militant ouvrier, récapitulant
les revendications des 15 000 mineurs de l’Oural, s’en fait le porte-parole : «
Tout en soutenant le gouvernement provisoire, il faut compter avec le fait
qu’il est composé de bourgeois. Il ne peut satisfaire les exigences du peuple
révolutionnaire que si l’on fait pression sur lui et avec plus de poids. Il faut
tout de suite surveiller les écarts de sa politique dans un sens bourgeois. »