La
question de la paix
En Russie, la chute du tsarisme à
la fin février 1917 avait laissé entière la question de la guerre. Conscients
de l’aversion grandissante de la population envers cette tuerie de masse, les
dirigeants du soviet de Petrograd adoptèrent dans un premier temps des textes
qui semblaient marquer une rupture complète avec l’ancien régime. Tel fut
notamment le cas, le 14 mars 1917 (27 mars selon le calendrier actuel), de l’Appel
du soviet aux peuples du monde entier :
« Camarades prolétaires,
travailleurs de tous les pays !
Nous, soldats et ouvriers russes,
unis au sein du soviet des députés ouvriers et soldats, vous envoyons nos
salutations chaleureuses et vous informons d’un grand événement. La démocratie
russe a renversé le despotisme des tsars (…). Le pilier de la réaction dans le
monde, le gendarme de l’Europe n’est plus. Puisse-t-il être enterré pour
toujours. Vive la liberté. Vive la solidarité internationale du prolétariat et
vive son combat pour la victoire finale. (…)
Ainsi, en appelant tous les
peuples détruits et ruinés par cette guerre monstrueuse, nous disons que
l’heure est venue de mener un combat décisif contre les ambitions
annexionnistes des gouvernements de tous les pays ; le temps est venu pour les
peuples de prendre entre leurs mains les décisions, en ce qui concerne les
questions de paix et de guerre. Consciente de sa puissance révolutionnaire, la
démocratie russe annonce qu’elle s’opposera à la politique de conquête de ses
classes dirigeantes par tous les moyens et elle invite les peuples d’Europe à
une action commune et décisive en faveur de la paix. (…)
Travailleurs de tous les pays,
tendant nos mains comme des frères par-dessus les montagnes des corps de nos
morts, par-dessus les rivières de larmes et de sang coulé innocemment,
par-dessus les ruines encore fumantes des villes et des villages, par-dessus
les trésors détruits, nous faisons appel à vous pour restaurer l’unité
internationale. Telle est la garantie de nos victoires futures et de la
libération complète de l’humanité ! Prolétaires de tous les pays, unissez-vous.
»
Mais très vite, sous la pression
de la France et de la Grande-Bretagne, auprès desquelles la Russie tsariste
s’était lourdement endettée, le gouvernement provisoire, soutenu par la
majorité du soviet de Petrograd aux mains des socialistes modérés, se rallie à
la guerre et aux buts de guerre de l’ancien régime. Il prétexte que celle-ci a
changé de nature, qu’il faut désormais la mener « jusqu’à sa fin victorieuse
». Ministres et représentants des partis socialistes français, anglais et
belge sont même dépêchés en Russie pour galvaniser les troupes. Mais remettre
l’armée en ordre de bataille se révèle impossible : elle continue à se
désagréger.
Trotsky raconte : « Le soldat
considérait maintenant une pile de projectiles avec autant de dégoût qu’un tas
de viande pourrie de vers : tout cela lui semblait superflu, inutilisable,
c’était duperie et filouterie. » Puis, citant un délégué du front, Trotsky
poursuit : « La discipline se maintenait à peu près tant que les soldats
comptèrent sur des changements rapides et décisifs. Mais lorsqu’ils virent (…)
que tout continuait comme par le passé, même oppression, même esclavage, mêmes
ténèbres, mêmes vexations, les troubles commencèrent. (…) Le tissu usé de la
discipline se déchirait places par places, en divers moments, dans différentes
garnisons et divers corps de troupe. Tel commandant, fréquemment, s’imaginait
que, dans son régiment ou sa division, tout allait bien, jusqu’à l’arrivée des
journaux ou d’un agitateur du dehors.
En réalité s’accomplissait le
travail de forces plus profondes et plus irrésistibles. On ne pouvait compter
sur le moral de l’armée. Ce que l’on peut formuler ainsi : l’armée, en tant
qu’armée, n’était déjà plus. »
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