Algérie :
pour que la colère ouvre des perspectives aux travailleurs
En annonçant que Bouteflika ne
ferait pas intégralement son cinquième mandat, le pouvoir algérien espérait
mettre fin à la contestation. Il n’en est rien : vendredi 8 mars, dans
tout le pays, les manifestations ont été encore plus massives. Jamais autant
d’Algériens, de nombreuses femmes en particulier, n’avaient crié leur colère.
Celle-ci est entièrement légitime. La population ne supporte plus la mascarade
qui consiste à maintenir un impotent à la tête de l’État, tandis qu’en
coulisses les affairistes qui gravitent autour de lui s’approprient les
ressources du pays.
Les travailleurs, jeunes et moins
jeunes, avec ou sans travail, forment, avec les étudiants, le gros des
cortèges. Ils sont révoltés par la « mal vie », la dégradation de
leurs conditions d’existence. Le salaire minimum est de 130 euros mensuels, et
encore de nombreux travailleurs ne le touchent pas. La précarité est la règle.
Les jeunes forment la majorité de la population, et un tiers d’entre eux sont
au chômage. Dans l’espoir d’une vie meilleure, ils sont de plus en plus
nombreux à tenter de traverser la Méditerranée, au péril de leur vie.
Alors que le pays est riche en
hydrocarbures, les services publics se dégradent, les écoles sont surchargées,
les hôpitaux sont à l’abandon. L’été dernier, une épidémie de choléra, cette
maladie de la pauvreté, a frappé. En même temps, les affairistes siphonnent les
recettes du pétrole, du gaz, du BTP ou de l’import-export. Les capitalistes
étrangers, les Renault, Total, Sanofi ou Lafarge, ne sont pas en reste, attirés
par les ressources du pays et la main-d’œuvre bon marché.
Comment le pouvoir va-t-il réagir
face à cette marée humaine qui le défie ? Par le passé, l’armée algérienne
a montré qu’elle était prête aux pires massacres. Ce fut notamment le cas en
octobre 1988, quand les jeunes des quartiers populaires se mobilisèrent et que
l’armée en tua plusieurs centaines. La semaine dernière, le pouvoir a envoyé un
avertissement : l’armée peut intervenir, comme elle l’a fait à plusieurs
reprises. Les manifestants veulent éviter que le sang soit versé, mais le
pouvoir en décidera peut-être autrement.
Le régime peut aussi finir par
renoncer à Bouteflika au profit d’un homme plus jeune, sur le nom duquel les
différents clans se seraient mis d’accord. Cela reviendrait à tout changer…
pour que rien ne change. Les révoltes tunisienne et égyptienne de 2011 furent
porteuses de grands espoirs. Bien des protestataires y ont donné leur vie. Pour
autant, pour les classes populaires de ces deux pays, l’espoir a été trahi. Les
riches ont gardé le pouvoir réel. En Égypte, un dictateur a pris la place du
précédent.
Derrière l’unanimité contre la
cinquième candidature, se dissimulent des intérêts contradictoires. La majorité
des manifestants veulent avoir un travail et pouvoir en vivre dignement. Des
privilégiés, comme le milliardaire Issad Rebrab, patron de Cevital, veulent une
plus grande part du butin. D’autres encore, tel l’entrepreneur franco-algérien
Rachid Nekkaz, veulent la leur. Et la lutte fait rage pour les places au sommet
de l’État.
Des grèves touchent maintenant de
nombreuses entreprises. Il est à espérer que les travailleurs y expriment leurs
intérêts de classe. Sans cela, même les revendications démocratiques risquent
de ne pas être satisfaites. Et pour les jeunes au chômage, pour les pauvres,
quel changement y aurait-il à avoir un nouvel homme fort, qui serait aussi
méprisant que la clique au pouvoir ?
Alors, il est à espérer que la
contestation n’en reste pas à la question du cinquième mandat, mais cible aussi
ceux qui accaparent les richesses produites par le monde du travail. « Ils
ont des millions, nous sommes des millions », disent certains
manifestants. Oui, il faut que les millions d’opprimés ciblent les
millionnaires !
Il paraît que les événements
inquièteraient Macron, solidaire du pouvoir algérien. À l’inverse, la
solidarité des travailleurs d’ici va aux manifestants. Leur révolte pourrait
ouvrir des perspectives pour les travailleurs du reste du Maghreb, et aussi pour
ceux d’ici. Depuis les 132 ans de domination coloniale et de pillage imposés
par l’État français au peuple algérien, l’histoire des deux pays est
entremêlée. C’est en particulier avec l’immigration algérienne que la classe
ouvrière d’ici s’est construite.
Les travailleurs d’Algérie et de
France ont les mêmes intérêts. Alors, puissent-ils les faire valoir, de l’autre
côté de la Méditerranée comme ici. Vive la lutte de nos sœurs et de nos frères
d’Algérie !
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