lundi 11 mars 2019

Editorial des bulletins Lutte ouvrière d’entreprise de ce lundi 11 mars 2019


Algérie : pour que la colère ouvre des perspectives aux travailleurs
 



En annonçant que Bouteflika ne ferait pas intégralement son cinquième mandat, le pouvoir algérien espérait mettre fin à la contestation. Il n’en est rien : vendredi 8 mars, dans tout le pays, les manifestations ont été encore plus massives. Jamais autant d’Algériens, de nombreuses femmes en particulier, n’avaient crié leur colère. Celle-ci est entièrement légitime. La population ne supporte plus la mascarade qui consiste à maintenir un impotent à la tête de l’État, tandis qu’en coulisses les affairistes qui gravitent autour de lui s’approprient les ressources du pays.

Les travailleurs, jeunes et moins jeunes, avec ou sans travail, forment, avec les étudiants, le gros des cortèges. Ils sont révoltés par la « mal vie », la dégradation de leurs conditions d’existence. Le salaire minimum est de 130 euros mensuels, et encore de nombreux travailleurs ne le touchent pas. La précarité est la règle. Les jeunes forment la majorité de la population, et un tiers d’entre eux sont au chômage. Dans l’espoir d’une vie meilleure, ils sont de plus en plus nombreux à tenter de traverser la Méditerranée, au péril de leur vie.

Alors que le pays est riche en hydrocarbures, les services publics se dégradent, les écoles sont surchargées, les hôpitaux sont à l’abandon. L’été dernier, une épidémie de choléra, cette maladie de la pauvreté, a frappé. En même temps, les affairistes siphonnent les recettes du pétrole, du gaz, du BTP ou de l’import-export. Les capitalistes étrangers, les Renault, Total, Sanofi ou Lafarge, ne sont pas en reste, attirés par les ressources du pays et la main-d’œuvre bon marché.

Comment le pouvoir va-t-il réagir face à cette marée humaine qui le défie ? Par le passé, l’armée algérienne a montré qu’elle était prête aux pires massacres. Ce fut notamment le cas en octobre 1988, quand les jeunes des quartiers populaires se mobilisèrent et que l’armée en tua plusieurs centaines. La semaine dernière, le pouvoir a envoyé un avertissement : l’armée peut intervenir, comme elle l’a fait à plusieurs reprises. Les manifestants veulent éviter que le sang soit versé, mais le pouvoir en décidera peut-être autrement.

Le régime peut aussi finir par renoncer à Bouteflika au profit d’un homme plus jeune, sur le nom duquel les différents clans se seraient mis d’accord. Cela reviendrait à tout changer… pour que rien ne change. Les révoltes tunisienne et égyptienne de 2011 furent porteuses de grands espoirs. Bien des protestataires y ont donné leur vie. Pour autant, pour les classes populaires de ces deux pays, l’espoir a été trahi. Les riches ont gardé le pouvoir réel. En Égypte, un dictateur a pris la place du précédent.

Derrière l’unanimité contre la cinquième candidature, se dissimulent des intérêts contradictoires. La majorité des manifestants veulent avoir un travail et pouvoir en vivre dignement. Des privilégiés, comme le milliardaire Issad Rebrab, patron de Cevital, veulent une plus grande part du butin. D’autres encore, tel l’entrepreneur franco-algérien Rachid Nekkaz, veulent la leur. Et la lutte fait rage pour les places au sommet de l’État.

Des grèves touchent maintenant de nombreuses entreprises. Il est à espérer que les travailleurs y expriment leurs intérêts de classe. Sans cela, même les revendications démocratiques risquent de ne pas être satisfaites. Et pour les jeunes au chômage, pour les pauvres, quel changement y aurait-il à avoir un nouvel homme fort, qui serait aussi méprisant que la clique au pouvoir ?

Alors, il est à espérer que la contestation n’en reste pas à la question du cinquième mandat, mais cible aussi ceux qui accaparent les richesses produites par le monde du travail. « Ils ont des millions, nous sommes des millions », disent certains manifestants. Oui, il faut que les millions d’opprimés ciblent les millionnaires !

Il paraît que les événements inquièteraient Macron, solidaire du pouvoir algérien. À l’inverse, la solidarité des travailleurs d’ici va aux manifestants. Leur révolte pourrait ouvrir des perspectives pour les travailleurs du reste du Maghreb, et aussi pour ceux d’ici. Depuis les 132 ans de domination coloniale et de pillage imposés par l’État français au peuple algérien, l’histoire des deux pays est entremêlée. C’est en particulier avec l’immigration algérienne que la classe ouvrière d’ici s’est construite.

Les travailleurs d’Algérie et de France ont les mêmes intérêts. Alors, puissent-ils les faire valoir, de l’autre côté de la Méditerranée comme ici. Vive la lutte de nos sœurs et de nos frères d’Algérie !

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