La
révolution dans l’armée
La révolution, victorieuse à
Petrograd le 27 février (12 mars) 1917, ne mit pas longtemps à toucher le
front, où l’armée russe piétinait depuis trois ans face à l’armée allemande. Un
soldat raconte un des multiples meetings tenus à l’annonce de la révolution :
« Quand tous ont eu fait silence
et formé les rangs, le premier orateur des délégués ouvriers et soldats à
prendre la parole a été le camarade Kossouraïev, de la 9e compagnie, qui a fait
un discours enflammé, expliquant pourquoi et en l’honneur de quoi nous étions
venus ici : “Pour fêter la liberté de notre Russie, honorer la mémoire de nos
camarades tombés pour la liberté et pour ne pas oublier ceux qui sont enfermés
dans les prisons dont les murs suintent de saleté.” Son discours a été prononcé
avec une telle émotion que personne ne pouvait retenir ses larmes. »
« Après lui est intervenu le
deuxième orateur, Tsiglov, qui a exprimé nos besoins, nos souffrances et a
décrit les punitions venant de nos chefs qui se comportaient de façon si
révoltante. À entendre un discours si beau, chaque soldat en avait l’âme
retournée, tous avaient le visage en larmes. »
« On avait envie de dire : “Voilà
comment vous, scélérats que vous êtes, vous vous comportiez avec nous les
soldats. Maintenant, regardez-nous les yeux dans les yeux. Qui de nous avait
raison, qui était coupable ? Vous buviez notre sang, vous nous forciez à
appeler blanc ce qui est noir et noir ce qui est blanc, mais le noir s’est levé
devant les yeux des soldats, il s’est transformé en blanc, puis en rouge et
soudain tout s’est obscurci comme dans l’épaisseur mortelle de la nuit !” Nos
soldats ne laissaient pas parler les officiers parce que ceux-ci avaient tous
les torts et se taisaient, tandis que les soldats faisaient connaître tout ce
qu’ils ne pouvaient retenir des douleurs accumulées ces derniers temps. »
Au front, des soviets de soldats
se constituent. Dans les villes, les soldats siègent aux côtés des ouvriers
dans les soviets. Sous leur dictée, le 1er mars, le soviet de Petrograd adopte
le prikaze (ou ordre) N°1. Le texte prévoit l’élection dans toutes les unités
d’un « comité de représentants parmi les simples soldats ». Il précise :
« Dans tous ses actes politiques,
l’unité militaire obéit au soviet de députés ouvriers et soldats, et à ses
comités.
- Les armes de tout genre (…)
doivent se trouver à la disposition et sous le contrôle des comités (…), et ne
seront en aucun cas délivrées aux officiers, même s’ils en faisaient sommation.
- En dehors du service et du
rang, dans leur vie politique, civique et privée, les soldats ne sauraient être
lésés dans les droits dont jouissent tous les citoyens. Notamment le
garde-à-vous au passage d’un supérieur et le salut militaire obligatoire sont
abolis hors service.
- De même sont supprimées les
formules décernées aux officiers : Votre Excellence, Votre Noblesse, etc.
- Les mauvais traitements de
gradés de toute sorte à l’égard des soldats, et le tutoiement, sont interdits.
»
C’était la traduction
spectaculaire, jusqu’au front, du fait qu’en ce printemps 1917, de tous les
pays belligérants, la Russie était devenue, selon l’expression de Lénine, «
le plus libre du monde ». Les soldats, organisés dans leurs soviets ou
comités, commandaient désormais aux officiers. En pleine guerre, c’était bien
la révolution à l’armée !
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