vendredi 21 février 2014

Ukraine : un article dans le numéro de l'hebdomadaire Lutte Ouvrière de cette semaine



Ukraine - De la confrontation à l'affrontement sanglant

25 morts dont neuf policiers, à Kiev ; le siège du Parti des Régions, celui du président ukrainien Ianoukovitch, en partie incendié par des manifestants ; des barricades de la place de l'Indépendance (le Maïdan) et des bâtiments occupés depuis deux mois par les contestataires repris par la police... Le 18 février, après des semaines d'apaisement relatif, le conflit entre le pouvoir ukrainien et ceux qui le contestent s'est transformé en affrontement sanglant.
      Après une première phase d'escalade dans la répression et la contestation, suite à la décision du pouvoir de ne pas signer un accord d'association avec l'Union européenne fin novembre dernier, la situation semblait gelée.
      Quoiqu'en aient prétendu ici les médias, les manifestations se faisaient moins nombreuses, tout comme les meetings sur le Maïdan. Le pouvoir, qui avait déjà fait quatre morts depuis le début des événements, semblait avoir remisé la matraque. À tel point qu'en semaine le Maïdan, ce campement de protestataires entouré de barricades au centre de Kiev, semblait souvent désert. Et on y croisait plus de badauds, venus voir ce qui se passait, que de manifestants.
      Quant aux activistes de l'extrême droite nationaliste et fascisante, minoritaires mais très visibles, ils venaient d'accepter, le 17 février, d'évacuer l'hôtel de ville (mais pas la Maison des syndicats, qu'ils continuaient à occuper). C'était une des contreparties de l'amnistie promulguée par le pouvoir à l'égard de 2 000 manifestants poursuivis en justice et de la libération de plus de deux cents autres.
     Le lendemain, 18 février, pour appuyer la discussion au Parlement (la Rada) sur la réforme constitutionnelle et la formation d'un gouvernement de coalition, l'opposition de droite et d'extrême droite (le régime n'en a pas d'autre tant soit peu visible) avait annoncé une « offensive pacifique ». Les activistes des partis et groupes fascisants (Svoboda, Congrès des nationalistes ukrainiens, Pravyi Sektor, etc.) ne l'entendaient pas de cette oreille. Après avoir dû accepter de quitter la mairie, ils voulaient une revanche. Ianoukovitch, lui, pouvait se sentir en position de force, et de le manifester, car il venait d'obtenir que l'opposition vienne discuter d'une solution parlementaire et gouvernementale à la crise.
     Le pouvoir avait même obtenu pour cela le soutien appuyé de l'Union européenne et plus encore des États-Unis. Inquiets que le conflit ne devienne ingérable et ne déstabilise toute la région, ceux-ci avaient incité fermement les principaux leaders de l'opposition parlementaire, Iatseniouk et Klitchko, à accepter les bases de discussions proposées par le président Ianoukovitch. Dans la presse, on avait même vu à plusieurs reprises l'ambassadeur américain en Ukraine condamner les occupations de bâtiments publics par la violence, et par les manifestants, appeler ces derniers à laisser la Rada discuter des « réformes »...
     Les leaders de l'opposition parlementaire avaient compris le message, mais pas forcément les activistes d'extrême droite, armés et entraînés dans des formations paramilitaires, qui encadrent les manifestants. Quant aux Berkouts, les policiers anti-émeutes, ils ont leur réputation à entretenir : celle de chiens de garde du régime.
      On voit le résultat. Du coup, l'Union européenne et les États-Unis cherchent aujourd'hui à associer la Russie, qu'ils dénonçaient hier comme ayant forcé Ianoukovitch à « tourner le dos à l'Europe ». En espérant que cela marche, ils croisent les doigts pour que Poutine ait bien l'influence qu'ils lui prêtaient et parvienne à modérer le président ukrainien. États-Unis, Allemagne et France notamment se gardent de jeter de l'huile sur le feu. Tel Washington qui, affirmant sa « consternation » dans un communiqué, a tenu à dénoncer le « recours excessif à la violence des deux côtés ».
     Les puissances impérialistes, qui avaient incité le régime à négocier un accord d'association avec Bruxelles, puis soutenu l'opposition qui contestait dans la rue le refus de Ianoukovitch de signer ledit accord, se trouvent aujourd'hui comme un apprenti sorcier devant des forces qu'il a invoquées et ne peut plus contrôler.
                                    Pierre LAFFITTE

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