Karl
Marx : préambule au programme du Parti ouvrier (30
juin 1880) (texte
2, suite de l’article de La Lutte de Classe, n°203, novembre 2019
Programme Électoral des
travailleurs socialistes
Considérant
Que l’émancipation de la classe
productive est celle de tous les êtres humains sans distinction de sexe ni de
race ;
Que les producteurs ne sauraient
être libres qu’autant qu’ils seront en possession des moyens de production ;
Qu’il n’y a que deux formes sous
lesquelles les moyens de production peuvent leur appartenir :
1/ la forme individuelle qui n’a
jamais existé à l’état de fait général et qui est éliminée de plus en plus par
le progrès industriel ;
2/ la forme collective dont les
éléments matériels et intellectuels sont constitués par le développement même
de la société capitaliste ;
Considérant
Que cette appropriation
collective ne peut sortir que de l’action révolutionnaire de la classe
productive – ou prolétariat – organisée en parti politique distinct ;
Qu’une pareille organisation doit
être poursuivie par tous les moyens dont dispose le prolétariat, y compris le
suffrage universel, transformé ainsi d’instrument de duperie qu’il a été
jusqu’ici en instrument d’émancipation ;
Les travailleurs socialistes
français, en donnant pour but à leurs efforts, dans l’ordre économique, le
retour à la collectivité de tous les moyens de production, ont décidé comme
moyen d’organisation et de lutte d’entrer dans les élections avec le programme
minimum suivant : […]
Résolution de congrès, 1882
(extraits) (texte 3, article de la Lutte de Classe, novembre 2019)
I – Les municipalités avant la
révolution
[…] Le Parti ouvrier, partout où
il trouve des conditions de lutte, accepte toutes les luttes sur tous les
terrains. Dès que le congrès du Havre lui donna son drapeau de lutte
quotidienne, le programme minimum, il engagea la lutte sur le terrain
municipal.
Mais le Parti ouvrier n’espère
pas arriver à la solution du problème social par la conquête « du
pouvoir administratif » dans la commune. Il ne croit
pas, il n’a jamais cru que la voie communale puisse conduire à l’émancipation
ouvrière et que, à l’aide de majorités municipales socialistes, des « réformes »
sociales soient « possibles » et des
« réalisations
immédiates ».
Pour aboutir à une autre
conclusion, il faudrait refuser de voir les différents obstacles contre
lesquels est appelée fatalement à se briser l’action de pareilles
municipalités. […]
Que sera-ce, si au lieu de bâtir
sur une liberté communale qui n’existe pas, nous prenons la commune actuelle
telle qu’elle est, c’est-à-dire dominée par l’État bourgeois ? Comment
supposer un seul instant que le pouvoir central entre les mains de la classe
capitaliste laisse faire, laisse passer ; qu’il
ne jette pas dans la balance son veto, sous la forme administration, magistrature
ou armée ? Ce
n’est évidemment pas pour les laisser dormir que la bourgeoisie augmente et
perfectionne tous les jours les services publics défensifs et répressifs que
représente l’État d’aujourd’hui. On a pu le voir à Commentry, lorsque d’une
part, malgré les protestations d’un conseil municipal collectiviste, des
troupes ont été expédiées contre les grévistes, et lorsque, d’autre part,
l’autorité sous-préfectorale a purement et simplement annulé le vote de 25 000
francs en faveur des ouvriers sans pain.
L’impuissance organique ou
réformiste des municipalités n’est pas un accident, mais la règle. Elle est
sentie instinctivement par la masse, plus clairvoyante que beaucoup de ses
meneurs, ainsi que suffirait à le démontrer l’esprit d’indifférence avec
laquelle elle assiste plutôt qu’elle ne prend part aux luttes communales.
Cette impuissance, le Parti
ouvrier ne l’ignore pas, et s’il a engagé et s’il entend poursuivre la lutte
sur le terrain municipal, c’est pour les raisons suivantes : parce
qu’il voit dans cette lutte le moyen d’affirmer et de répandre ses conclusions
collectivistes révolutionnaires ; parce qu’en les opposant à la
phraséologie des radicaux il peut arracher à ces derniers leur masque
réformiste ; parce qu’aucune occasion ne doit être négligée
de mettre aux prises ouvriers et bourgeois ; et qu’à
manœuvrer ainsi contre l’ennemi, le prolétariat se préparera à l’action
commune, à la grande et vraie guerre : les
luttes électorales sont les écoles de guerre du parti.
Sans compter que l’impuissance,
démontrée par le fait, des élus municipaux mettra fin à des illusions
dangereuses et habituera les ouvriers à placer toutes leurs espérances
d’émancipation dans la prise de possession du pouvoir central. C’est en entrant
dans le conseil municipal et en constatant par expérience qu’il n’y avait rien
à en faire que les ouvriers de Roanne sont devenus centralistes. C’est en
voyant à l’œuvre leurs conseillers municipaux que les ouvriers de partout se
persuaderont que l’abolition du salariat n’est pas affaire communale, mais
nationale et internationale.
Mais si les municipalités
conquises par le Parti ne peuvent pas être l’instrument de l’émancipation
ouvrière, elles constitueront entre nos mains autant de moyens de recrutement
et d’armes pour la lutte. Si sans se laisser arrêter par la certitude de
l’annulation de leurs décisions les municipalités socialistes légifèrent dans
le sens de nos revendications, les traduisent en arrêtés et surtout si elles
tentent de les appliquer, elles convertiront au Parti la fraction encore
hésitante du prolétariat, surpris et heureux de voir pour la première fois ses
intérêts sauvegardés.
Les conflits qu’elles soulèveront
ainsi avec le pouvoir central mettront d’autre part hors de doute pour la masse
que la première étape révolutionnaire est la conquête de l’État, ce boulevard
de la société capitaliste. Pour augmenter la portée de ces conflits, les
municipalités ouvrières s’entendront entre elles pour formuler les mêmes
réclamations et prendre les mêmes résolutions ; si le pouvoir
central intervient, il se trouvera en présence d’une ligue municipale destinée
à jouer un grand rôle pendant la période révolutionnaire.
II - Les municipalités pendant la
révolution.
L’action des municipalités
ouvrières pendant la période révolutionnaire sera double : locale
et nationale.
Les révolutions ne sont pas des
coups de main organisés par une poignée de braves. Depuis le siècle dernier,
les révolutions en France ont jailli spontanément des événements politiques et
économiques ; les pouvoirs les mieux assis ont été
déracinés en quelques jours et parfois en quelques heures. Les chefs de la
bourgeoisie républicaine s’installaient dans les places vidées et s’armaient
contre les ouvriers qui les avaient laissés se caser. La classe ouvrière incapable
de prendre le pouvoir, ne pouvait que le laisser aux bourgeois.
Le Parti ouvrier n’est pas un
parti d’émeutiers ; il n’a pas à provoquer des
révolutions ; mais à les aider, à y participer, à les
diriger, à empêcher leur escamotage par les radicaux et les intransigeants.
Dans les centres industriels, les groupes du Parti auront à se mettre à la tête
du mouvement et à s’emparer des pouvoirs locaux. Les gouvernements
révolutionnaires locaux ne s’adresseront pas au vote pour consacrer leurs
pouvoirs, mais à l’action.
Les pouvoirs révolutionnaires
locaux auront à agir vigoureusement et rapidement ; à faire
passer dans les faits les réformes ouvrières dont la « réalisation
immédiate » était impossible tant que l’État
capitaliste était debout ; à armer et à organiser
militairement les ouvriers. Qui a du fer à du pain, disait Blanqui.
Satisfaction devra être donnée,
immédiatement, aux premiers besoins ouvriers : ils
devront être tirés de leurs taudis, logés dans les hôtels et les maisons
bourgeoises et nourris dans des restaurants communistes. Tous les stocks de
marchandises devront être saisis et distribués entre les ouvriers ; les
ateliers, les maisons de commerce, les banques, etc. devront être nationalisés.
Mais la réaction écraserait
l’action révolutionnaire locale, si elle restait autonome, ne se combinait pas
et ne se centralisait pas ; si on ne formait un pouvoir
révolutionnaire central non à l’aide du suffrage universel qui ne peut donner
que ce qui existe, mais avec des délégués des pouvoirs extraordinaires locaux.
Ils conserveraient sur leurs mandataires un droit absolu de contrôle et de
destitution. […]
III - Les municipalités après la
révolution
[…] La révolution ouvrière hâtera
la marche centralisatrice des moyens de production, la régularisation des moyens
de production et transformera les forces productives d’instruments
d’exploitation des producteurs en moyens de développement physique et
intellectuel.
En conséquence,
Les délégués des groupes
soussignés composant la Fédération du Centre proposent à l’adoption du Congrès
régional les conclusions suivantes :
Sur la première partie de la
question :
Considérant que la distinction du
pouvoir, en politique selon qu’il s’agit de l’État, et administratif selon
qu’il s’agit de la commune, est aussi arbitraire que chimérique, l’État
concentrant ces deux pouvoirs dont les communes n’ont que les miettes ;
Considérant que l’émancipation
des travailleurs ne peut sortir que de l’expropriation de la classe capitaliste
et que dans les conditions économiques et politiques d’aujourd’hui, l’État seul
entre les mains du Parti ouvrier peut être le moyen d’une pareille émancipation ;
Le Congrès régional du Centre
déclare que la conquête de l’État, c’est-à-dire du pouvoir central, doit être
l’unique objectif politique du Parti ;
Mais attendu que la conquête des
municipalités et la lutte en vue de cette conquête sont de puissants moyens de
propagande et d’agitation, du moment qu’au lieu de dissimuler ou de replier son
drapeau, le Parti ouvrier entrera en ligne avec l’intégralité de ses
revendications collectivistes révolutionnaires votées au congrès de Marseille
et sanctionnées au congrès du Havre ;
Le Congrès régional du centre
engage le Parti à continuer comme par le passé à intervenir dans les élections
communales, devenues à la fois une école et un champ de manœuvre.
Sur la deuxième partie de la
question.
Considérant que l’action des
municipalités ouvrières ne saurait être organique ou réformiste, subordonnée
qu’elle est à la liberté capitaliste et à la toute-puissance gouvernementale
qui protège et consacre cette liberté ;
Considérant qu’en laissant croire
le contraire aux travailleurs, en leur donnant à entendre qu’une fois en leur
pouvoir les municipalités pourront devenir un instrument de réalisations
immédiates ou d’affranchissement graduel, le Parti ouvrier préparerait à la
classe qu’il représente des déceptions qui se retourneraient contre lui ;
Mais considérant que, autant
elles seraient impuissantes à abolir ou même à améliorer le salariat, autant
les municipalités ouvrières peuvent, par les mesures qu’elles prendront,
dévoiler l’abîme qui sépare le Parti ouvrier des partis politiques bourgeois,
et démontrer aux travailleurs le parti qu’ils pourront tirer de la conquête de
l’État ;
Considérant enfin que les
conflits que ces municipalités pourront et devront créer entre elles et le
pouvoir central sont de nature à précipiter la révolution ;
Le Congrès régional décide :
1/ Que le Parti ouvrier doit se
garder de demander aux municipalités par lui conquises des réformes qu’elles ne
sauraient donner ;
2/ Que dans toutes les
municipalités dont il pourra s’emparer, le Parti ouvrier devra, sans se
préoccuper de leur annulation prévue, prendre des arrêtés conformes à son
programme politique et économique tel qu’il a été formulé par nos congrès
nationaux. […]