lundi 4 novembre 2019

Élections municipales, comment Karl Marx introduisait le problème en 1880, et comment le Parti Ouvrier de Guesde et Lafargue le mettait en application


Karl Marx: préambule au programme du Parti ouvrier (30 juin 1880) (texte 2, suite de l’article de La Lutte de Classe, n°203, novembre 2019



Programme Électoral des travailleurs socialistes

Considérant

Que l’émancipation de la classe productive est celle de tous les êtres humains sans distinction de sexe ni de race;
Que les producteurs ne sauraient être libres qu’autant qu’ils seront en possession des moyens de production;
Qu’il n’y a que deux formes sous lesquelles les moyens de production peuvent leur appartenir:
1/ la forme individuelle qui n’a jamais existé à l’état de fait général et qui est éliminée de plus en plus par le progrès industriel;
2/ la forme collective dont les éléments matériels et intellectuels sont constitués par le développement même de la société capitaliste;

Considérant

Que cette appropriation collective ne peut sortir que de l’action révolutionnaire de la classe productive – ou prolétariat – organisée en parti politique distinct;
Qu’une pareille organisation doit être poursuivie par tous les moyens dont dispose le prolétariat, y compris le suffrage universel, transformé ainsi d’instrument de duperie qu’il a été jusqu’ici en instrument d’émancipation;
Les travailleurs socialistes français, en donnant pour but à leurs efforts, dans l’ordre économique, le retour à la collectivité de tous les moyens de production, ont décidé comme moyen d’organisation et de lutte d’entrer dans les élections avec le programme minimum suivant: […]

Résolution de congrès, 1882 (extraits) (texte 3, article de la Lutte de Classe, novembre 2019)


Les municipalités et le Parti ouvrier

Jules Guesde

Paul Lafargue


I – Les municipalités avant la révolution

[…] Le Parti ouvrier, partout où il trouve des conditions de lutte, accepte toutes les luttes sur tous les terrains. Dès que le congrès du Havre lui donna son drapeau de lutte quotidienne, le programme minimum, il engagea la lutte sur le terrain municipal.
Mais le Parti ouvrier n’espère pas arriver à la solution du problème social par la conquête «du pouvoir administratif» dans la commune. Il ne croit pas, il n’a jamais cru que la voie communale puisse conduire à l’émancipation ouvrière et que, à l’aide de majorités municipales socialistes, des «réformes» sociales soient «possibles» et des «réalisations immédiates».
Pour aboutir à une autre conclusion, il faudrait refuser de voir les différents obstacles contre lesquels est appelée fatalement à se briser l’action de pareilles municipalités. […]
Que sera-ce, si au lieu de bâtir sur une liberté communale qui n’existe pas, nous prenons la commune actuelle telle qu’elle est, c’est-à-dire dominée par l’État bourgeois? Comment supposer un seul instant que le pouvoir central entre les mains de la classe capitaliste laisse faire, laisse passer; qu’il ne jette pas dans la balance son veto, sous la forme administration, magistrature ou armée? Ce n’est évidemment pas pour les laisser dormir que la bourgeoisie augmente et perfectionne tous les jours les services publics défensifs et répressifs que représente l’État d’aujourd’hui. On a pu le voir à Commentry, lorsque d’une part, malgré les protestations d’un conseil municipal collectiviste, des troupes ont été expédiées contre les grévistes, et lorsque, d’autre part, l’autorité sous-préfectorale a purement et simplement annulé le vote de 25000 francs en faveur des ouvriers sans pain.
L’impuissance organique ou réformiste des municipalités n’est pas un accident, mais la règle. Elle est sentie instinctivement par la masse, plus clairvoyante que beaucoup de ses meneurs, ainsi que suffirait à le démontrer l’esprit d’indifférence avec laquelle elle assiste plutôt qu’elle ne prend part aux luttes communales.
Cette impuissance, le Parti ouvrier ne l’ignore pas, et s’il a engagé et s’il entend poursuivre la lutte sur le terrain municipal, c’est pour les raisons suivantes: parce qu’il voit dans cette lutte le moyen d’affirmer et de répandre ses conclusions collectivistes révolutionnaires; parce qu’en les opposant à la phraséologie des radicaux il peut arracher à ces derniers leur masque réformiste; parce qu’aucune occasion ne doit être négligée de mettre aux prises ouvriers et bourgeois; et qu’à manœuvrer ainsi contre l’ennemi, le prolétariat se préparera à l’action commune, à la grande et vraie guerre: les luttes électorales sont les écoles de guerre du parti.
Sans compter que l’impuissance, démontrée par le fait, des élus municipaux mettra fin à des illusions dangereuses et habituera les ouvriers à placer toutes leurs espérances d’émancipation dans la prise de possession du pouvoir central. C’est en entrant dans le conseil municipal et en constatant par expérience qu’il n’y avait rien à en faire que les ouvriers de Roanne sont devenus centralistes. C’est en voyant à l’œuvre leurs conseillers municipaux que les ouvriers de partout se persuaderont que l’abolition du salariat n’est pas affaire communale, mais nationale et internationale.
Mais si les municipalités conquises par le Parti ne peuvent pas être l’instrument de l’émancipation ouvrière, elles constitueront entre nos mains autant de moyens de recrutement et d’armes pour la lutte. Si sans se laisser arrêter par la certitude de l’annulation de leurs décisions les municipalités socialistes légifèrent dans le sens de nos revendications, les traduisent en arrêtés et surtout si elles tentent de les appliquer, elles convertiront au Parti la fraction encore hésitante du prolétariat, surpris et heureux de voir pour la première fois ses intérêts sauvegardés.
Les conflits qu’elles soulèveront ainsi avec le pouvoir central mettront d’autre part hors de doute pour la masse que la première étape révolutionnaire est la conquête de l’État, ce boulevard de la société capitaliste. Pour augmenter la portée de ces conflits, les municipalités ouvrières s’entendront entre elles pour formuler les mêmes réclamations et prendre les mêmes résolutions; si le pouvoir central intervient, il se trouvera en présence d’une ligue municipale destinée à jouer un grand rôle pendant la période révolutionnaire.

II - Les municipalités pendant la révolution.

L’action des municipalités ouvrières pendant la période révolutionnaire sera double: locale et nationale.
Les révolutions ne sont pas des coups de main organisés par une poignée de braves. Depuis le siècle dernier, les révolutions en France ont jailli spontanément des événements politiques et économiques; les pouvoirs les mieux assis ont été déracinés en quelques jours et parfois en quelques heures. Les chefs de la bourgeoisie républicaine s’installaient dans les places vidées et s’armaient contre les ouvriers qui les avaient laissés se caser. La classe ouvrière incapable de prendre le pouvoir, ne pouvait que le laisser aux bourgeois.
Le Parti ouvrier n’est pas un parti d’émeutiers; il n’a pas à provoquer des révolutions; mais à les aider, à y participer, à les diriger, à empêcher leur escamotage par les radicaux et les intransigeants. Dans les centres industriels, les groupes du Parti auront à se mettre à la tête du mouvement et à s’emparer des pouvoirs locaux. Les gouvernements révolutionnaires locaux ne s’adresseront pas au vote pour consacrer leurs pouvoirs, mais à l’action.
Les pouvoirs révolutionnaires locaux auront à agir vigoureusement et rapidement; à faire passer dans les faits les réformes ouvrières dont la «réalisation immédiate» était impossible tant que l’État capitaliste était debout; à armer et à organiser militairement les ouvriers. Qui a du fer à du pain, disait Blanqui.
Satisfaction devra être donnée, immédiatement, aux premiers besoins ouvriers: ils devront être tirés de leurs taudis, logés dans les hôtels et les maisons bourgeoises et nourris dans des restaurants communistes. Tous les stocks de marchandises devront être saisis et distribués entre les ouvriers; les ateliers, les maisons de commerce, les banques, etc. devront être nationalisés.
Mais la réaction écraserait l’action révolutionnaire locale, si elle restait autonome, ne se combinait pas et ne se centralisait pas; si on ne formait un pouvoir révolutionnaire central non à l’aide du suffrage universel qui ne peut donner que ce qui existe, mais avec des délégués des pouvoirs extraordinaires locaux. Ils conserveraient sur leurs mandataires un droit absolu de contrôle et de destitution. […]

III - Les municipalités après la révolution

[…] La révolution ouvrière hâtera la marche centralisatrice des moyens de production, la régularisation des moyens de production et transformera les forces productives d’instruments d’exploitation des producteurs en moyens de développement physique et intellectuel.
En conséquence,
Les délégués des groupes soussignés composant la Fédération du Centre proposent à l’adoption du Congrès régional les conclusions suivantes:

Sur la première partie de la question:

Considérant que la distinction du pouvoir, en politique selon qu’il s’agit de l’État, et administratif selon qu’il s’agit de la commune, est aussi arbitraire que chimérique, l’État concentrant ces deux pouvoirs dont les communes n’ont que les miettes;
Considérant que l’émancipation des travailleurs ne peut sortir que de l’expropriation de la classe capitaliste et que dans les conditions économiques et politiques d’aujourd’hui, l’État seul entre les mains du Parti ouvrier peut être le moyen d’une pareille émancipation;
Le Congrès régional du Centre déclare que la conquête de l’État, c’est-à-dire du pouvoir central, doit être l’unique objectif politique du Parti;
Mais attendu que la conquête des municipalités et la lutte en vue de cette conquête sont de puissants moyens de propagande et d’agitation, du moment qu’au lieu de dissimuler ou de replier son drapeau, le Parti ouvrier entrera en ligne avec l’intégralité de ses revendications collectivistes révolutionnaires votées au congrès de Marseille et sanctionnées au congrès du Havre;
Le Congrès régional du centre engage le Parti à continuer comme par le passé à intervenir dans les élections communales, devenues à la fois une école et un champ de manœuvre.

Sur la deuxième partie de la question.

Considérant que l’action des municipalités ouvrières ne saurait être organique ou réformiste, subordonnée qu’elle est à la liberté capitaliste et à la toute-puissance gouvernementale qui protège et consacre cette liberté;
Considérant qu’en laissant croire le contraire aux travailleurs, en leur donnant à entendre qu’une fois en leur pouvoir les municipalités pourront devenir un instrument de réalisations immédiates ou d’affranchissement graduel, le Parti ouvrier préparerait à la classe qu’il représente des déceptions qui se retourneraient contre lui;
Mais considérant que, autant elles seraient impuissantes à abolir ou même à améliorer le salariat, autant les municipalités ouvrières peuvent, par les mesures qu’elles prendront, dévoiler l’abîme qui sépare le Parti ouvrier des partis politiques bourgeois, et démontrer aux travailleurs le parti qu’ils pourront tirer de la conquête de l’État;
Considérant enfin que les conflits que ces municipalités pourront et devront créer entre elles et le pouvoir central sont de nature à précipiter la révolution;

Le Congrès régional décide:

1/ Que le Parti ouvrier doit se garder de demander aux municipalités par lui conquises des réformes qu’elles ne sauraient donner;
2/ Que dans toutes les municipalités dont il pourra s’emparer, le Parti ouvrier devra, sans se préoccuper de leur annulation prévue, prendre des arrêtés conformes à son programme politique et économique tel qu’il a été formulé par nos congrès nationaux. […]

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire