dimanche 21 décembre 2025

Argenteuil, une ville des « deux rives », un article sur la soirée consacrée à l’hommage à Michèle AUDIN et à la famille

Article rédigée par un participant de cette belle soirée du jeudi 18.12. (Photo par nos soins)

Petite rappel : l’Association Sous Les Couvertures a été fondée en 2012 par cinq habitants d’Argenteuil : Catherine et Gilles, les libraires émérites de l’avenue Gabriel Péri, Kreshia, Agnès, et moi-même, Dominique, en particulier autour d’un axe général : « Ce que le roman apporte à l’Histoire ». Je suis connu comme militant bien identifié, mais cette association de culture et de défense du Livre se voulait totalement pluraliste, démocratique, et ouverte. Je crois que depuis son origine, elle l’a prouvé. DM

 


……………………………………..

Organisée par l'association "Sous les couvertures", fondée par des militants de la culture d’Argenteuil dont l'infatigable militant Dominique Mariette (Lutte ouvrière), cette soirée a eu lieu, ce jeudi 18 septembre à l'espace Nelson-Mandela à Argenteuil, en présence de l'historienne Sylvie Thénault et plusieurs proches de la famille Audin.

Le drame de la famille Audin ne s’est pas arrêté à la disparition de Maurice Audin, torturé et assassiné par l’armée française en 1957. Il s’est prolongé, sourdement, sur plusieurs décennies, comme une onde de choc qui n’en finit pas de briser des vies. En septembre 2018, lorsque le président Emmanuel Macron reconnaît officiellement la responsabilité de l’État français dans la torture et la disparition de Maurice Audin, une vérité longtemps niée accède enfin à l’espace public. Mais cette reconnaissance arrive tard, trop tard.

Cinq mois plus tard, Josette Audin, qui avait porté le poids du mensonge d’État, s’éteint le 2 février 2019 à Bobigny à l'âge de 87 ans. Professeure de mathématiques, elle aussi, elle était surtout militante politique contre le racisme et le colonialisme. Elle a passé 61 ans de sa vie à demander des explications sur la disparition de son mari et père de leurs trois enfants. Elle n’aura connu la vérité officielle que brièvement, après une vie entière de combat, de dignité et de silence forcé.

Avant elle, leurs enfants, Louis, décède en 2006 et Pierre en 2023. Et enfin 6 ans après elle, Michèle, brillante mathématicienne et écrivaine, s'éteint à son tour le 14 novembre 2025. Tous les membres de la famille Maurice Audin sont partis, emportant avec eux les stigmates d’une histoire jamais refermée.

Être les enfants d’un disparu, c’est vivre avec une absence sans tombe, avec une injustice sans réparation, avec un deuil sans fin.

Ce qui frappe dans cette tragédie familiale, c’est la cruauté du temps politique. L’État reconnaît sa faute quand il n’y a presque plus de survivants pour l’entendre. La vérité arrive comme une consolation dérisoire, incapable de réparer les vies abîmées. La famille Audin incarne ainsi une double violence : celle de la torture et celle du déni prolongé. Leur histoire rappelle que les crimes d’État ne meurent pas avec leurs auteurs ; ils continuent de tuer lentement, dans les familles, dans les silences, dans les corps fatigués par l’attente.

Au cours de cette soirée, il a été rappelé l’arrivée en 1967 de la famille Audin à Argenteuil, ville de tradition ouvrière et d’immigration, terre d’accueil façonnée par les luttes sociales et la solidarité. C’est le député communiste de l’époque, Léon FEIX, disparu en 1974, qui permit à la famille de se loger au parc HLM d’Argenteuil, affirmant par ce geste une fidélité concrète aux valeurs de justice et de fraternité. Josette Audin y enseigna les mathématiques dans un lycée de la ville, transmettant rigueur et savoir à des générations d’élèves. Son fils Pierre suivit la même voie, devenant un temps lui aussi professeur de mathématiques dans un établissement voisin. Argenteuil ne fut pas seulement un lieu de résidence : elle devint un espace de reconstruction, de transmission et de dignité, où l’histoire intime des Audin croisa celle d’une ville populaire fidèle à ses idéaux.

Enfin, il a été rappelé que la disparition de Maurice Audin n’est pas un cas isolé mais la fissure par laquelle apparaît toute l’ampleur des disparitions de l’année 1957 à Alger et après. Derrière ce nom, il y a des centaines d’hommes et de femmes arrêtés, engloutis dans le silence de la guerre coloniale. Certains historiens parlent de quelque 3000 disparus voire plus. Peu importe le chiffre exact, il a été évoqué, lors de cette soirée, l’histoire méconnue des militants communistes, Européens et Algériens, qui choisirent le camp de l’indépendance au nom de la justice et de l’égalité, payant souvent cet engagement de leur vie. À Alger, sous l’autorité du général Massu, la torture fut instituée comme méthode, banalisée, rationalisée, niée ensuite. La disparition de Maurice Audin révèle ainsi une vérité plus vaste et plus terrible : un système où l’État a accepté la violence extrême, l’effacement des corps et des noms, laissant aux familles une douleur sans sépulture et à l’histoire une dette morale qui demeure ouverte.

                                                                                            A.S.


0 commentaires:

Enregistrer un commentaire