Les
gilets jaunes : l’expression d’une colère, la recherche d’une perspective
Cet article a été rédigé le 3
janvier 2019. Il ne tient donc pas compte d’événements survenus par la suite,
ni de non-événements tels que le débat national de Macron avec ses
rebondissements successifs. Il sera publié dans le prochain numéro de notre
mensuel à paraître fin janvier.
……..
La
révolte contre les impôts et taxes « qui saignent les malheureux »
Les révoltes contre des
prélèvements de l’État, les impôts et les taxes, ressentis comme injustes, font
partie des moments forts de l’histoire des luttes de classe. Le pourrissement
du capitalisme financiarisé leur donne une nouvelle actualité. En dehors de son
rôle régalien de défense de l’ordre capitaliste, l’État joue de plus en plus le
rôle d’huissier chargé de prélever directement sur la population de quoi
compléter la masse de plus-value dégagée par l’exploitation directe et de le
mettre à la disposition de la grande bourgeoisie.
Dissimuler cette arnaque derrière
le prétendu intérêt général marche d’autant moins que ce qui, dans les services
publics, est utile à la majorité de la population – écoles, accès aux soins,
Ehpad, transports publics dignes de ce nom – est laissé à l’abandon alors même
que s’accroissent les prélèvements. Le parasitisme croissant du grand capital,
qui oblige son État à détourner de plus en plus ses moyens financiers vers les
grandes entreprises privées et vers leurs propriétaires et actionnaires, quitte
à démolir ceux des services publics qui sont utiles au plus grand nombre, est
en train de tuer la crédibilité de l’État de la bourgeoisie dans sa prétention
à représenter les intérêts généraux de la population.
Le « macronisme », »
qui s’est présenté en ses débuts comme la solution à la perte de crédit des
partis de la bourgeoisie qui incarnaient l’alternance gauche-droite, constitue
aujourd’hui au contraire le problème. La démocratie bourgeoise s’enfonce dans
le marasme. Les atermoiements affolés du gouvernement face à une crise
politique, somme toute limitée pour le moment, ont une signification plus
profonde que ne méritent la petite personne de Macron et la cour d’arrivistes
qu’est sa majorité parlementaire. C’est l’autorité de l’État qui est mise en
cause.
Le constat ne vaut pas seulement
pour la France. Sous les formes les plus variées, la même évolution est en
train de se produire dans les pays les plus développés de la planète (quant aux
autres, la majorité sous-développée ou semi-développée de la planète, la forme
démocratique du pouvoir de la bourgeoisie n’a jamais été autre chose qu’un
simulacre). Partout, pour la même raison fondamentale, c’est l’agonie prolongée
de l’organisation sociale capitaliste.
Le problème qui est posé à la
société dépasse l’agitation dérisoire des partis traditionnels de la
bourgeoisie, comme de ceux qui essayent d’en prendre la relève. Il n’est pas
dans la façon de gérer les affaires de la bourgeoisie, et encore moins de
choisir qui les gère. Il est dans la légitimité de la bourgeoisie à diriger la
société alors qu’elle la mène à la catastrophe.
Les axes
des interventions des communistes révolutionnaires
Le propre des mouvements de
masse, fussent-ils limités, est qu’ils rendent concrets, perceptibles, des
problèmes et des objectifs qui apparaissaient auparavant abstraits, voire
inimaginables. Le premier enseignement du mouvement des gilets jaunes est avant
tout son existence, et son surgissement imprévu et imprévisible. Après une longue
période où dominaient dans les classes exploitées la résignation et le
scepticisme à l’égard de la possibilité même d’agir, voilà que le sursaut est
venu d’une de ses franges, la plus écrasée, la plus désarmée, la plus
abandonnée à son sort de masse populaire, la plus morcelée aussi. Ceux des
classes populaires qui s’engageaient alors dans la contestation l’ont fait avec
leurs préjugés, leurs illusions, leur inorganisation, leur apolitisme, avec
tout ce que cela implique de handicaps, d’absence de boussole. Mais ils s’y
sont engagés. L’entrée en contestation elle-même était le début d’un
apprentissage, le seul qui soit donné aux masses populaires. Des formes de
communication émergeaient. Des formes d’organisation surgissaient. Des femmes
et des hommes, des personnes âgées vivant dans l’isolement découvraient, au gré
des discussions et des fraternisations, que leur malheur n’était pas
individuel. C’est peu, mais en même temps, c’est énorme. De sujets passifs
subissant la loi des plus puissants et leur propagande permanente, ils se sont
fait entendre et ont même commencé à peser sur la vie politique. C’est comme
cela que la prise de conscience commence. Elle peut être contagieuse.
L’activité des militants
révolutionnaires doit tout simplement faciliter cette prise de conscience, lui
donner une formulation, anticiper les étapes suivantes. La culture marxiste en
donne les moyens. L’engagement du côté du prolétariat, la confiance dans les
capacités et les possibilités des travailleurs feront le reste. Ce sont les
masses en mouvement qui peuvent comprendre les idées marxistes, le programme
révolutionnaire, et en faire une force capable d’ébranler le monde.
La grande masse des exploités
n’en est pas encore à lutter et même à contester. Mais même la contestation
d’une minorité suscite des questions, permet la discussion. Il faut saisir ces
possibilités. Même limitées aujourd’hui, elles pourront devenir utiles demain.
Les luttes sociales ne font que s’annoncer.
La concomitance de décisions
comme celle de supprimer l’impôt, pourtant dérisoire, sur la fortune des
riches, et l’amputation de la pension des retraités du monde du travail, a posé
d’emblée la question de l’inégalité sociale. Elle apparaissait de prime abord
comme injustement aggravée par « l’homme des riches » qui est à
l’Élysée. Mais c’est le début d’un raisonnement qui peut être facilement poussé
plus loin. Macron, qui lui-même s’est réclamé d’un exercice
« jupitérien » de la présidence, est ressenti comme un président
coupé du peuple, et méprisant. Mais cela suscite des réflexions sur la nature
du pouvoir, quel que soit l’individu qui l’exerce dans cette société
inégalitaire. L’arbitraire de la décision d’ajouter une taxe sur le gazole,
avec ce que cela implique pour le pouvoir d’achat, fait réfléchir sur l’utilisation
des impôts et des taxes. Et combien de gilets jaunes, qui n’ont jamais
participé à une manifestation, ont découvert en montant à Paris, à Toulouse ou
à Bordeaux, que la police n’était pas seulement le policier municipal de leur
localité, un voisin ou un cousin, en même temps qu’ils ont découvert, sans être
pourtant venus manifester pour casser, les gaz lacrymogènes et les canons à
eau. Tout cela constitue pour beaucoup une expérience politique, élémentaire
mais nouvelle.
Le gros des participants au
mouvement s’y est lancé pour le droit de vivre dignement, tout simplement. De
disposer d’un travail pour ceux qui n’en ont pas, d’un pouvoir d’achat pour
faire face aux dépenses quotidiennes de la famille, d’une retraite convenable.
Des exigences modestes, que la société devrait pouvoir assurer à chacun de ses
membres. Des exigences ressenties comme étant d’autant plus légitimes que la
même société permet à une toute petite minorité de cumuler des fortunes qui
dépassent l’entendement.
C’est là que doit commencer
l’agitation des communistes révolutionnaires. Montrer que l’organisation
sociale actuelle s’oppose même à cette exigence élémentaire. Que la richesse
incommensurable de la minorité capitaliste repose, de façon particulièrement
révoltante avec la crise économique, sur l’appauvrissement de ceux dont le
travail, l’activité productive, ont précisément créé les richesses que cette
minorité s’approprie et dilapide.
Tout le monde devrait avoir un
emploi avec un salaire correct. S’il n’y a pas assez d’emplois, il faut
répartir le travail entre tous. Le chômage est un drame pour celui qui le vit,
et une aberration sociale, car en travaillant le salarié contribue à créer sa
propre part de richesse sociale. L’activité des générations passées de
travailleurs – notamment celles et ceux qui sont aujourd’hui à l’âge de la
retraite – a créé des forces productives immenses, des usines, des banques, des
transports, des réseaux de distribution. Les responsables du chômage sont ceux
qui monopolisent ces forces productives et que le système économique actuel
autorise à en disposer à leur gré, fût-ce aux dépens de milliers de femmes,
d’hommes, de toute une ville ou de toute une région lorsqu’une entreprise ferme
ou délocalise.
Le pouvoir d’achat doit être
garanti par l’indexation automatique des salaires et des retraites sur les
prix. Il est inacceptable que s’accroisse sans cesse le nombre de travailleurs
pauvres, des femmes et des hommes qui, tout en apportant leur contribution au
fonctionnement de la société, sont poussés vers la misère matérielle et par
là-même, morale. Une société qui tolère cela est une société en train de se
suicider.
Ce sont là les premiers pas
indispensables pour préserver de la déchéance les travailleurs salariés, les
retraités. Ils ne peuvent pas être franchis autrement que par la lutte. Cette
lutte indispensable, inévitable ne doit pas seulement viser ceux qui nous
gouvernent. Elle doit viser, au-delà, ceux qui accaparent les richesses créées
pourtant par l’activité collective. C’est légitime. C’est moral. C’est d’une
nécessité vitale pour empêcher que le système broie ceux dont l’activité fait
fonctionner toute la société.
Ce n’est que de la légitime
défense de la part des classes travailleuses face à un danger immédiat, mortel
pour la composante active de la société qu’ils sont. Mais pour écarter
définitivement la menace qui pèse sur l’humanité, il faut arracher le pouvoir à
la grande bourgeoisie. Il faut exproprier la minorité de gros possédants
capitalistes qui exercent un pouvoir dictatorial sur l’économie et qui l’ont
conduite à l’impasse des crises répétitives.
À la pleurnicherie mièvre des
réformistes en tout genre qui proposent un « meilleur partage des
richesses », il faut opposer l’expropriation des grands capitaux, des
grandes entreprises et des banques. La grande bourgeoisie ne partage pas. Et le
problème de la société n’est pas de mieux partager la richesse accumulée entre
les mains d’une poignée de grands capitalistes. Il est de mettre fin à un
système économique qui, tant qu’il dure, draine inexorablement vers cette
poignée de capitalistes ce qui résulte de l’activité, de la créativité, de la
collectivité humaine. Un système économique injuste et irrationnel depuis
toujours, mais aujourd’hui en état de faillite manifeste.
Il n’y a pas de compromis
équitable entre la grande bourgeoisie et le prolétariat. Il n’y a pas
d’organisation économique intermédiaire entre celle de la bourgeoisie
capitaliste, fondée sur la propriété privée des moyens de production, la course
au profit privé et la concurrence, et celle dont sera porteuse la classe
ouvrière : une économie organisée sous le contrôle de ceux qui
travaillent, et planifiée pour satisfaire en priorité les besoins matériels et
culturels de tous, compte tenu des moyens disponibles.
Qui de la bourgeoisie ou du
prolétariat l’emportera ? La question posée depuis le Manifeste
communiste est la seule décisive pour l’avenir. Prendre le parti du
prolétariat dans ce combat, contribuer à ce qu’il renoue avec la conscience de
la tâche historique qui est la sienne, reste le guide de tout militant, de
toute organisation communiste révolutionnaire, plus particulièrement lors des
crises sociales.
3 janvier 2019
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire