L’Ukraine
et ses sauveurs autoproclamés
Les milliers de manifestants
qui se sont soulevés à Kiev et en ont payé le prix du sang ont précipité la
fuite et la destitution de Ianoukovitch. On ne peut que se réjouir de la chute
de ce président corrompu capable de tirer sur son propre peuple.
Mais
est-ce que la population d’Ukraine aura droit à une évolution
démocratique ? Si la population aspire à mettre fin au règne de ces
crapules qui se succèdent au pouvoir depuis que le pays est indépendant, elle
ne doit pas compter sur les forces politiques qui sont à l’œuvre.
Il y a
dix ans, la population avait déjà renversé le pouvoir en place, avec ce qui fut
appelé « la révolution orange ». Elle avait placé ses espoirs dans
les partis d’opposition et fut déçue, au point de faire revenir au pouvoir un
Ianoukovitch !
Faire
tomber un dictateur est une chose, mais c’est maintenant que les intérêts
contradictoires s’affronteront. Seules les forces politiques organisées savent
ce qu’elles veulent et sont capables de peser. Ceux qui aspirent à se battre
sans avoir réfléchi à la direction qu’ils veulent prendre sont voués à servir
de masse de manœuvre aux autres.
Et en
Ukraine, c’est peu dire que les politiciens qui se disputent le pouvoir ne
représentent pas les intérêts des petites gens. Les uns agitent le
rapprochement avec l’Union européenne, les autres, le nationalisme. Mais qu’ils
soient pro-européens ou pro-russes, tous se préparent à gouverner pour les plus
riches qui dominent l’économie, les fameux oligarques qui ont fait fortune en
parasitant ou en accaparant les entreprises étatisées grâce à leurs liens avec
le pouvoir.
Les
Timochenko ou les Klitchko ne sont là que pour perpétuer le règne de ces
oligarques. Klitchko, connu pour ses talents de boxeur, est un homme d’affaire
prospère, gendre d’un ex-président ukrainien réputé pour sa cruauté et sa
corruption.
Quant à
Ioulia Timochenko qui dirige le principal parti d’opposition, il n’y a que les
journalistes occidentaux pour la présenter comme « l’incarnation du rêve
démocratique » ! Elle est née et a grandi au sein de la haute
bureaucratie et a su en profiter au point d’être surnommée la « princesse
du gaz ».
Sacrée
femme la plus riche d’Ukraine, elle a été par deux fois Premier ministre. Et
elle a gouverné comme ses prédécesseurs étalant une cupidité qui n’a rien à
envier à celle d’un Ianoukovitch.
Autant
la population n’a rien à attendre de ces gens-là, autant c’est sur eux que
comptent les dirigeants occidentaux et Poutine pour stabiliser au plus vite la
situation politique. Malgré leurs différends et leurs rivalités, ils ont hâte
d’en finir avec la mobilisation et sont pressés de remplacer l’équipe de
Ianoukovitch par une autre.
Mais il
n’est pas dit que la situation ne leur échappe pas. Car c’est l’extrême droite
qui sort renforcée de ces trois mois de mobilisation. Le Maïdan a été tenu
pendant des semaines par des groupes armés d’extrême droite dont certains se
revendiquent ouvertement du nazisme et misent sur le chauvinisme, y compris à
l’intérieur du pays, contre les russophones, les Juifs, les Roms, les minorités
en général.
Et ce
sont eux qui profitent actuellement de la vacance du pouvoir pour s’installer,
qui dans les commissariats, qui dans les mairies, et se sont autoproclamés
garants du maintien de l’ordre. Leur politique consiste à dresser les gens les
uns contre les autres en fonction de leur langue ou de leur religion. Et
au-delà du risque de la partition de l’Ukraine, cette politique peut pousser la
population vers une impasse sanglante.
La
vitesse avec laquelle la Yougoslavie s’est décomposée et a plongé dans
l’ignoble épuration ethnique montre que l’engrenage est toujours possible et
qu’une fois lancé par les démagogues, il est bien difficile de l’arrêter.
L’avenir
n’est pas écrit, mais il appartient aux forces politiques organisées. Face à
l’impasse que constitue le retour de personnages ressemblant comme deux gouttes
d’eau à Ianoukovitch et face à la menace que recèlent les agissements des
forces nationalistes d’extrême droite, la population et les travailleurs n’ont
d’autre choix que de s’organiser, de se rassembler et de faire prévaloir une
politique qui leur soit favorable.
La chute de Ianoukovitch, comme
celle de Ben Ali ou de Moubarak, démontre que, quand une population est
déterminée à s’opposer à un pouvoir corrompu, elle en a les moyens. Si les
travailleurs sont décidés à ne pas se laisser faire, ils en ont la force, à
condition qu’ils soient capables d’affirmer leurs exigences contre les
oligarques et les grandes puissances et de peser sur la vie politique dans le
sens de leurs intérêts.
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