1936 :
quand le chef du Front populaire s’explique sur les grèves
Publié le
17/07/2024
C’est une
lecture éclairante sur la réalité de ce que fut la politique du Front
populaire, en particulier vis-à-vis de l’immense mouvement de grève, bien
éloignée de la version mensongère colportée par les dirigeants de la gauche actuelle.
Nous en publions ci-dessous des extraits.
« Cette loi de quarante heures fait partie
intégrante d’un ensemble politique. Cette politique, je n’ai pas eu à la
choisir, elle m’a été imposée dans les circonstances où j’ai pris le
gouvernement, par une nécessité de droit, et par une nécessité de fait, ayant
véritablement le caractère d’un cas de force majeure.
Rappelez-vous
que, les 4 et 5 juin, il y avait un million de grévistes. Rappelez-vous
que toutes les usines de la région parisienne étaient occupées. Rappelez- vous
que le mouvement gagnait d’heure en heure et de proche en proche dans la France
entière. (…) Je n’étais pas sans rapports moi-même avec les représentants du
grand patronat et je me souviens de ce qu’était leur état d’esprit à cette
époque : “Alors quoi ? C’est la révolution ? Alors quoi, qu’est-ce qu’on va
nous prendre ? Qu’est-ce qu’on va nous laisser ?” Les ouvriers occupaient
les usines. Et, peut-être, ce qui contribuait le plus à la terreur, c’était
cette espèce de tranquillité, cette espèce de majesté calme avec laquelle ils
s’étaient installés autour des machines. (…)
M. Lebrun (le
président de la République) me répondit alors : “(…) Je vous en prie, dès
demain, adressez-vous à eux par la voix de la radio. Dites- leur que le
Parlement va se réunir, que dès qu’il sera réuni, vous allez leur demander le
vote rapide et sans délai des lois dont le vote figure dans leurs cahiers de
revendications, en même temps que le relèvement des salaires. Ils vous
croiront, ils auront confiance en vous et alors, peut-être ce mouvement
s’arrêtera-t-il ?” (…)
Sans nul
doute, j’aurais tenté de moi-même ce qu’on a appelé l’accord Matignon. Mais je
dois à la vérité de dire que l’initiative première est venue du grand patronat.
(…) On ne demandait qu’une chose aux Chambres : aller vite, vite, afin de liquider
une situation que j’ai qualifiée non pas de révolutionnaire mais de quasi
révolutionnaire, et qui l’était en effet. (…) La contrepartie, c’était
l’évacuation des usines. Dès ce jour-là, les représentants de la CGT ont dit
aux représentants du grand patronat qui étaient à Matignon : “Nous nous
engageons à faire tout ce que nous pourrons et nous le ferons. Mais nous vous
avertissons tout de suite. Nous ne sommes pas sûrs d’aboutir. Quand on a
affaire à un mouvement comme celui-là, à une marée comme celle-là, il faut lui
laisser le temps de s’étaler. Et puis c’est maintenant que vous allez peut-être
regretter d’avoir systématiquement profité des années de déflation et de
chômage pour exclure de vos usines les militants syndicalistes. (…) Ils ne sont
plus là pour exercer sur leurs camarades l’autorité qui serait nécessaire
pour faire exécuter nos ordres”. Et je vois encore M. Richement (un
représentant du patronat) qui était assis à ma gauche, baisser la tête en
disant : “C’est vrai, nous avons eu tort.” (…)
Je dois vous
dire qu’à ce moment dans la bourgeoisie, et en particulier dans le monde
patronal, on m’espérait comme un sauveur. Les circonstances étaient si
angoissantes, on était si près de quelque chose qui ressemblait à la guerre
civile qu’on n’espérait plus (…) que dans l’arrivée au pouvoir de l’homme
auquel on attribuait sur la classe ouvrière un pouvoir suffisant de persuasion
pour qu’il lui fit entendre raison et qu’il la décidât à ne pas user, à ne pas
abuser de sa force. (…)
Voilà
Messieurs, dans quelles conditions ont été votées les lois sociales dont
l’accusation extrait la loi des quarante heures. (…)
En 1938,
c’est autre chose. (…) J’ai donc obtenu l’accord (…) qui porte à 45 heures, par
addition de cinq heures supplémentaires, le temps normal de la durée de travail
dans tous les établissements travaillant directement ou indirectement pour la
défense nationale. »
Lutte ouvrière n°2920