« Pas de risque avéré… » Et il
faudrait les croire ?
Circulez, il n’y a rien à
voir ! C’est ce que, depuis jeudi dernier, les autorités s’échignent à
répéter. Pas moins de quatre ministres sont allés à Rouen pour rassurer la
population. « Il n’y a pas de risque avéré pour la population », a
expliqué Castaner. « Les fumées ne sont pas toxiques », répètent les
autorités… tout en demandant aux habitants de rester chez eux, et aux
agriculteurs de suspendre leur récolte. « Il n’y a pas de danger grave et
immédiat pour les habitants », explique le maire, Yvon Robert, qui s’est
transformé en avocat bénévole de Lubrizol, expliquant que « cette
entreprise est toujours disponible pour améliorer la situation et n’a jamais
hésité à dépenser pour accroître la sécurité »…
Ah
bon ? Alors, pourquoi les écoles ont-elles été fermées pendant trois
jours ? Pourquoi la Seine est-elle polluée, l’air irrespirable, la suie partout,
avec des tâches noires jusque sur les bestiaux ? Pourquoi des champs
entiers sont-ils souillés ? Pourquoi des centaines de personnes ont-elles
été malades et sont confinées, ou ont dû quitter leur logement, en raison de
problèmes respiratoires ? Quelle quantité d’amiante a brûlé dans
l’incendie ?
Lubrizol,
un pollueur béni par les autorités
L’usine Lubrizol appartient à un
groupe américain, propriété du multimilliardaire Warren Buffet. Elle produit
des additifs pour les huiles et les carburants. Si l’incendie n’a fait aucune
victime directe, des centaines de personnes ont été incommodées par les odeurs
pénétrantes de ce feu d’hydrocarbure, dont la composition réelle n’a pas été
révélée.
En 2013,
cette usine a été à l’origine d’un accident qui s’est soldé par l’émission d’un
nuage de gaz malodorant qui avait été senti jusqu’en région parisienne et au
sud de l’Angleterre. Quelle sanction Lubrizol a-t-elle reçu pour cette
pollution de grande ampleur ? 4000 euros d’amende pour négligence… Une
sanction aussi dérisoire, c’est comme une incitation à la récidive. Un voleur
de scooter pourrait être plus lourdement condamné. Oh, quand il s’agit de faire
la morale aux travailleurs sur les « petits gestes qui sauvent la
planète », nos ministres sont intarissables. Mais quand un industriel
menace d’empoisonner toute une région, cela se limite à une remontrance !
En 2015, Lubrizol avait déversé plusieurs milliers de litres d’huiles dans le
réseau d’évacuation des eaux pluviales. En janvier 2019, cette usine, située à 3
km du centre-ville, a même obtenu une autorisation d’extension de ses
activités ! En réalité, dans cette affaire, les autorités sont entièrement
complices de ce pollueur.
Le profit
roi, qui menace nos vies
Quel que soit l’enchaînement qui
a causé l’incendie, la population rouennaise est exposée à des risques
insensés. Et encore est-ce grâce aux ouvriers de l’usine que les stocks de
pentasulfure, avec du phosphore, ont été évacués pendant l’incendie.
En raison
de la nature des produits manipulés et de la quantité stockée, Lubrizol est une
usine dangereuse. Comme 13 autre usines de l’agglomération rouennaise, elle est
classée Seveso « seuil haut », du nom de cette catastrophe qui, en
1976, contamina 350 hectares à la dioxine et obligea à abattre des dizaines de
milliers de bêtes. En 2001, l’explosion de l’usine AZF à Toulouse avait fait 31
morts et 2500 blessés, et elle avait dévasté un quartier. Il y a en France 705
sites Seveso « seuil haut », donc 705 AZF en puissance.
Notre
société utilise certes la chimie, la pétrochimie et même l’énergie nucléaire.
Mais il n’y a aucune raison pour que ces activités dangereuses soient soumises
à la loi du profit. Il n’y a aucune raison pour qu’elles soient menées à l’abri
des regards. En raison du secret industriel et commercial, la population n’a
aucun contrôle sur ces usines. Des usines qui sont autant de poudrières, et que
l’irresponsabilité capitaliste menace à tout instant de faire sauter.