Janvier-mars
1939 : les combattants espagnols jetés dans les camps en France
La Retirada – la retraite
(militaire) en espagnol – désigne l’exode des combattants républicains vaincus
par Franco à la fin de la guerre civile espagnole en 1939. Entre janvier et
février, 500 000 personnes durent franchir les Pyrénées, pour fuir la sanglante
répression franquiste, accueillis de la pire façon par la République française
voisine.
En mai-juin 1937, après la chute
de la ville basque de Bilbao entre les mains des franquistes, 120 000 réfugiés
étaient déjà arrivés en France. Mais l’effondrement du front de Catalogne et la
prise de Barcelone par les franquistes, le 26 janvier 1939, déclenchèrent un
exode massif, ceux qui avaient combattu Franco risquant le peloton d’exécution.
Un
terrible exode
Le militant trotskyste Mieczyslaw
Bortenstein a laissé un témoignage de l’exode qui s’ensuivit : « Le
spectacle que j’ai vu sur les routes menant jusqu’à la frontière était
horrible. Cet exode précipité des femmes, parfois enceintes, des enfants, des
blessés parfois amputés d’une jambe, (…) fut un spectacle qui nous faisait
frémir ! (…) Évidemment, le départ fut effectué dans d’autres conditions
par MM. les ministres, députés, bureaucrates, hauts fonctionnaires, etc., (…)
dans les voitures luxueuses, (…) une démonstration tangible de la division des
classes à l’intérieur du Front populaire : les bourgeois de gauche et les
bureaucrates embourgeoisés (…) dans les belles limousines (…), de l’autre côté
des ouvriers, les paysans et avec eux des militants du rang qui marchaient à
pied (…) sous la menace continue de l’aviation fasciste. »
Pour ce combattant de la guerre
civile, cette défaite était la conséquence de « la criminelle politique
du Front populaire. (…) Toute la politique des dirigeants républicains,
socialistes, communistes et anarchistes tendait à détruire l’énergie
révolutionnaire du prolétariat. » « D’abord gagner la guerre, ensuite
faire la révolution », cette formule réactionnaire tuait la révolution
pour tuer la guerre par la suite. On avait l’espoir de gagner ainsi l’appui de
la bourgeoisie dite démocratique de la France et de l’Angleterre. Au nom de
cette politique, on abandonna tout, on alla de capitulation en capitulation, on
trahit tout, on démoralisa le prolétariat. » Or « battre le
fascisme, seule la révolution prolétarienne le pouvait. »
Le 27 janvier 1939, le chef du
gouvernement français, Daladier, fit ouvrir la frontière aux seuls civils. Le
1er février, son ministre de l’Intérieur précisa : « Les femmes et
les enfants, on les reçoit ; les blessés, on les soigne ; les
valides, on les renvoie. » Gardes mobiles et tirailleurs sénégalais
s’en chargeaient. Les arrivants devaient abandonner armes, argent et bijoux.
Les 45 000 premiers étaient parqués sur la plage d’Argelès par des nuits
glaciales, sans pain.
Le 5 février, le reste des
antifranquistes put entrer. Leur nombre doubla de 250 000 à 500 000, dont un
tiers de femmes, enfants et vieillards. La frontière fut définitivement
refermée le 13 février. 330 000 réfugiés s’ajoutèrent aux 240 000 habitants du
département des Pyrénées-Orientales. Femmes, enfants et vieillards furent
ensuite répartis dans soixante-dix-sept départements, dans des casernes,
prisons ou usines désaffectées, et aussi dans des halles, haras, maisons
inhabitées ou colonies de vacances hors saison.
Des camps
de concentration
Pour les hommes, l’accueil ne
s’organisa que le 23 février dans des camps. Chapeautés par un général, une
cinquantaine de camps furent installés dans le sud de la France dans des
conditions déplorables : ni hygiène, ni intimité. On manque alors de
couchages, de chauffages, de ravitaillement. Les épidémies se répandent. Entre
février et juillet 1939, 15 000 réfugiés meurent, en général de dysenterie.
Mais l’encadrement militaire, lui, est maîtrisé, mobilisant six régiments
d’infanterie et quatre de cavalerie. S’ajoutent une quinzaine de camps dans les
colonies françaises du Maghreb où une partie des 30 000 réfugiés sont soumis à
des travaux forcés.
Le camp d’Argelès, où 78 000
hommes s’entassent dans 1 500 abris, est l’un des pires. La presse du Parti
communiste décrit « un véritable pénitencier où couve un foyer
d’épidémies. » « Ce n’est plus la mitraille qui tue, c’est la faim,
la fièvre, le froid », « un enfer » du fait des sévices des
militaires, des humiliations, des brutalités et des vols infligés aux réfugiés.
La majorité des hommes est
embrigadée dans des compagnies de travailleurs étrangers : 130 000 dans
les usines, 75 000 dans les fortifications, 20 000 dans les mines et
l’agriculture.
Cette arrivée massive de réfugiés
déclenche les campagnes des partisans de leur renvoi en Espagne.
À droite, à l’extrême droite et
même dans les journaux radicaux L’Indépendant et la Dépêche du Midi,
la xénophobie domine. On joue sur les peurs. Les réfugiés sont des
« épaves humaines », dangereuses, car « anarchistes et
voyous ». Ces réfugiés, à qui on a pourtant tout pris, sont à la fois des
profiteurs « bien portants et armés » et accusés de dévaster les
campagnes, de coûter cher et de faire planer la menace d’épidémies. C’est
« l’armée du crime ».
La presse communiste et socialiste
dénonce le dénuement matériel et moral des réfugiés et le manque d’organisation
et de diligence du gouvernement français. « Je suis allé ce matin à
Argelès-sur-Mer. Sur la plage, à perte de vue, grouille une foule immense,
parquée entre des fils de fer barbelés. Un sur mille des hommes qui sont là a
pu trouver un abri pour la nuit. La plupart de ceux que j’interroge n’ont pas
mangé depuis deux jours. Il faut d’urgence loger ces malheureux, les réunir en
baraquements. » « On continue à manger peu, très peu : un quart
de boule de pain par jour c’est bien maigre. » « Attendra-t-on que
les pleurésies, les congestions pulmonaires aient assassiné 10 000 ou 20 000
soldats de la liberté, épargnés par les bombes italiennes et les obus allemands
pour prendre enfin les décisions indispensables ? » Ces extraits
d’une série d’articles du Populaire conduisent Daladier à en interdire
la vente dans les camps d’Argelès et de Saint-Cyprien alors que la presse de
droite, qui injurie les combattants espagnols, est autorisée ! Et pour
cause… Le 28 mars, les troupes franquistes entrent dans Madrid. Daladier
reconnaît le vainqueur et nomme Pétain ambassadeur à Burgos.
Une partie des réfugiés allait se
retrouver en 1939-1940 au sein de l’armée française. Après août 1940, cela conduisit
7 500 d’entre eux au camp de la mort de Mauthausen, où les deux tiers périrent.
Les survivants de toutes ces épreuves n’allaient voir leurs droits reconnus
qu’en 1945.
Note : Illégal de mars 1939
à février 1940, Bortenstein a été interné au camp du Vernet, puis au camp des
Milles et enfin à Drancy. Il est mort à Auschwitz. Sous son nom de plume, M.
Casanova, sa brochure, L’Espagne livrée. Comment le Front populaire a ouvert
les portes à Franco, est disponible en français sur le site marxists.org.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire