vendredi 19 août 2016

Georges Séguy en Mai 68 : le bradeur de la grève générale : un article de notre hebdomadaire Lutte ouvrière de cette semaine


A un tout autre nouveau, la disparition de Georges Séguy nous impose, loin des ralliements post-mortem de rappeler le passé de l’action de celui qui était le dirigeant de la CGT lors des mobilisations de 1968 à laquelle, tout jeune lycéen de seconde, j’ai pu participer. DM

 

Georges Séguy : le bradeur de la grève générale de Mai 68

 

Georges Séguy est mort, à l’âge de 89 ans. Du PS au PCF en passant par les Verts et le Parti de gauche, la gauche ne tarit pas d’éloges sur celui qui a été pendant quinze ans le secrétaire général de la CGT en même temps qu’il était membre du PCF, et même de sa direction. C’est à ce poste, qu’il affronta la grève générale de 1968 et sut l’orienter sur une voie sans danger pour la bourgeoisie.
 
 
À la suite de la grève et des manifestations réussies du 13 mai 1968 contre les brutalités policières envers les étudiants, l’émotion était grande et l’envie d’agir massive dans la classe ouvrière. Cette journée de grève du 13 mai avait été décidée par les confédérations syndicales dont la plus influente, la CGT, pour tenter de canaliser cette situation. Elle était prévue pour durer un jour par les confédérations, mais le travail ne reprit pas le lendemain ni les jours suivants. Dix millions de travailleurs se retrouvèrent en grève sans que ni la CGT ni les autres confédérations n’y aient appelé. Elles se gardèrent bien de parler de grève générale. Mais surtout, la tactique de la CGT, dirigée en fait par le PCF, consista à tout faire pour ne pas perdre la direction du mouvement, surtout après avoir rencontré une méfiance justifiée dans le milieu étudiant. Malgré l’étendue du mouvement de grèves, la participation des ouvriers à leurs propres grèves fut entravée. Les appareils les appelèrent à rentrer chez eux, les usines furent « occupées » par les militants syndicaux, seuls. Il n’était pas question de laisser les ouvriers ensemble, ni de leur permettre de contester la propriété privée par une véritable occupation des usines comme en 1936, et encore moins de se poser tous les problèmes de la gestion de leur grève.

Une fois le pays paralysé, il fallut trouver une issue « acceptable ». Des discussions eurent lieu entre gouvernement, patronat et syndicats au ministère du Travail, rue de Grenelle. Séguy joua un rôle de premier plan. Il se fit huer – ce qu’il nia toujours contre toute évidence – par les ouvriers de Renault Billancourt, auxquels il était venu présenter un premier protocole d’accord. Mais là encore, pour ne pas risquer de perdre la direction du mouvement, il attendit que l’hostilité des travailleurs s’épuise pour imposer les accords négociés. Ce furent les fameux accords de Grenelle : augmentation de 35 % du salaire minimum, qui passa de 385 à 519 francs (la CGT revendiquait 600 francs), augmentation de 10 % des autres salaires, droits et postes supplémentaires pour les appareils syndicaux et quelques vagues paroles sur le temps de travail et la retraite. Lorsque le Premier ministre Pompidou lui demanda s’il allait appeler à la reprise du travail, Séguy lui répondit par une boutade significative : « Non, parce que nous n’avons jamais lancé de mot d’ordre national de grève. » En fait, les appareils de la CGT et des autres confédérations firent tout pour mettre fin à un mouvement qui s’était développé contre leur gré.

Ce que le patronat et le gouvernement avaient dû lâcher était loin de suffire au regard de l’ampleur d’un mouvement sans précédent depuis 1936, et le travail ne reprit pas. Mais les dirigeants nationaux de la CGT et de la CFDT se dirent satisfaits et organisèrent les discussions par branche ou par entreprise, fragmentant la grève.

Enfin, pour mettre véritablement fin à cette situation de crise sociale et politique, de Gaulle choisit comme moyen de diversion d’organiser des élections législatives. Les dirigeants de la gauche qui avaient appelé de Gaulle à démissionner se rallièrent du jour au lendemain à cette perspective. Et Séguy et les appareils syndicaux prirent prétexte de ces élections pour justifier l’arrêt des grèves. Ils imposèrent pas à pas la reprise du travail, jouant de leur autorité et utilisant mensonges et calomnies pour démoraliser les plus déterminés.

Arracher quelques avantages matériels pour calmer la mobilisation ouvrière et prôner le changement politique par les urnes : c’est en menant cette politique que Séguy réussit à brader la grève générale. Si la grève de mai 68 ne menaça pas la bourgeoisie, elle lui fit craindre quand même que sa domination sur la société ne soit remise en cause. Eh bien non ! Dans la lignée d’un Thorez qui avait affirmé en 1936 « Il faut savoir terminer une grève », Séguy et les appareils syndicaux mirent tout leur poids pour empêcher encore une fois les travailleurs d’aller au bout des possibilités de leurs luttes.

Séguy profita dès lors paisiblement des cinquante années qui lui restaient à vivre. Il avait bien mérité de la bourgeoisie.

                                            Vincent GELAS (Lutte ouvrière n°2507)

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