A
un tout autre nouveau, la disparition de Georges Séguy nous impose, loin des
ralliements post-mortem de rappeler le passé de l’action de celui qui était le
dirigeant de la CGT lors des mobilisations de 1968 à laquelle, tout jeune
lycéen de seconde, j’ai pu participer. DM
Georges
Séguy : le bradeur de la grève générale de Mai 68
Georges Séguy est mort, à l’âge
de 89 ans. Du PS au PCF en passant par les Verts et le Parti de gauche, la
gauche ne tarit pas d’éloges sur celui qui a été pendant quinze ans le
secrétaire général de la CGT en même temps qu’il était membre du PCF, et même
de sa direction. C’est à ce poste, qu’il affronta la grève générale de 1968 et
sut l’orienter sur une voie sans danger pour la bourgeoisie.
À la suite de la grève et des
manifestations réussies du 13 mai 1968 contre les brutalités policières envers
les étudiants, l’émotion était grande et l’envie d’agir massive dans la classe
ouvrière. Cette journée de grève du 13 mai avait été décidée par les
confédérations syndicales dont la plus influente, la CGT, pour tenter de
canaliser cette situation. Elle était prévue pour durer un jour par les
confédérations, mais le travail ne reprit pas le lendemain ni les jours
suivants. Dix millions de travailleurs se retrouvèrent en grève sans que ni la
CGT ni les autres confédérations n’y aient appelé. Elles se gardèrent bien de
parler de grève générale. Mais surtout, la tactique de la CGT, dirigée en fait
par le PCF, consista à tout faire pour ne pas perdre la direction du mouvement,
surtout après avoir rencontré une méfiance justifiée dans le milieu étudiant.
Malgré l’étendue du mouvement de grèves, la participation des ouvriers à leurs
propres grèves fut entravée. Les appareils les appelèrent à rentrer chez eux,
les usines furent « occupées » par les militants syndicaux, seuls. Il n’était
pas question de laisser les ouvriers ensemble, ni de leur permettre de
contester la propriété privée par une véritable occupation des usines comme en
1936, et encore moins de se poser tous les problèmes de la gestion de leur
grève.
Une fois le pays paralysé, il
fallut trouver une issue « acceptable ». Des discussions eurent lieu entre
gouvernement, patronat et syndicats au ministère du Travail, rue de Grenelle.
Séguy joua un rôle de premier plan. Il se fit huer – ce qu’il nia toujours
contre toute évidence – par les ouvriers de Renault Billancourt, auxquels il
était venu présenter un premier protocole d’accord. Mais là encore, pour ne pas
risquer de perdre la direction du mouvement, il attendit que l’hostilité des
travailleurs s’épuise pour imposer les accords négociés. Ce furent les fameux
accords de Grenelle : augmentation de 35 % du salaire minimum, qui passa de 385
à 519 francs (la CGT revendiquait 600 francs), augmentation de 10 % des autres
salaires, droits et postes supplémentaires pour les appareils syndicaux et
quelques vagues paroles sur le temps de travail et la retraite. Lorsque le Premier
ministre Pompidou lui demanda s’il allait appeler à la reprise du travail,
Séguy lui répondit par une boutade significative : « Non, parce que nous
n’avons jamais lancé de mot d’ordre national de grève. » En fait, les
appareils de la CGT et des autres confédérations firent tout pour mettre fin à
un mouvement qui s’était développé contre leur gré.
Ce que le patronat et le
gouvernement avaient dû lâcher était loin de suffire au regard de l’ampleur
d’un mouvement sans précédent depuis 1936, et le travail ne reprit pas. Mais
les dirigeants nationaux de la CGT et de la CFDT se dirent satisfaits et
organisèrent les discussions par branche ou par entreprise, fragmentant la
grève.
Enfin, pour mettre véritablement
fin à cette situation de crise sociale et politique, de Gaulle choisit comme
moyen de diversion d’organiser des élections législatives. Les dirigeants de la
gauche qui avaient appelé de Gaulle à démissionner se rallièrent du jour au
lendemain à cette perspective. Et Séguy et les appareils syndicaux prirent
prétexte de ces élections pour justifier l’arrêt des grèves. Ils imposèrent pas
à pas la reprise du travail, jouant de leur autorité et utilisant mensonges et
calomnies pour démoraliser les plus déterminés.
Arracher quelques avantages
matériels pour calmer la mobilisation ouvrière et prôner le changement
politique par les urnes : c’est en menant cette politique que Séguy réussit à
brader la grève générale. Si la grève de mai 68 ne menaça pas la bourgeoisie,
elle lui fit craindre quand même que sa domination sur la société ne soit
remise en cause. Eh bien non ! Dans la lignée d’un Thorez qui avait affirmé en
1936 « Il faut savoir terminer une grève », Séguy et les appareils
syndicaux mirent tout leur poids pour empêcher encore une fois les travailleurs
d’aller au bout des possibilités de leurs luttes.
Séguy profita dès lors
paisiblement des cinquante années qui lui restaient à vivre. Il avait bien
mérité de la bourgeoisie.
Vincent
GELAS (Lutte ouvrière n°2507)
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