Il y a 60
ans - Hiroshima et Nagasaki
Il y a soixante ans, le monde a
pris conscience de la formidable capacité de destruction des armes nucléaires.
Depuis, cette prise de conscience fait partie de notre univers mental. La
guerre atomique a plusieurs fois été présentée comme un risque imminent, au
cours de la Guerre Froide. On en a parfois évoqué la possibilité lors des
guerres de libération de peuples colonisés. C'est encore son spectre que les
grandes puissances utilisent pour revendiquer le monopole nucléaire, parlant
cyniquement de «non-prolifération de l'arme atomique».
Ces
jours-ci, c'est le battage médiatique autour des capacités nucléaires, réelles
ou supposées, de l'Iran. Ces quinze dernières années, le péril venait plutôt de
la Corée du Nord. Avant, on avait montré du doigt l'Irak de Saddam Hussein, et
bien d'autres États du Tiers Monde qui étaient dénoncés comme de potentiels
fauteurs de guerre atomique.
Il
n'empêche que jusqu'à présent les États-Unis sont les seuls à avoir réellement
utilisé la bombe atomique, il y a soixante ans, à Hiroshima et Nagasaki. Et ce
seul fait montre toute l'hypocrisie des dirigeants de la première puissance
impérialiste mondiale quand ils dénoncent les «armes de destruction massive» de
tel ou tel État du Tiers Monde.
Il
n'empêche aussi que la France, dont le président Mitterrand fit couler le
navire GreenPeace, le Rainbow Warrior parce qu'il aurait pu troubler ses essais
nucléaires à Mururoa, et dont le successeur, Chirac, fit reprendre ces essais
en 1995, est assez mal placée pour donner des leçons à l'Iran, ou à d'autres,
sur ce sujet.
Le 6 août
1945, un bombardier américain larguait une seule bombe, mais une bombe
atomique, sur la ville japonaise d'Hiroshima. En quelques secondes, cette ville
industrielle était rasée. 150 000 personnes périrent. Le 9 août, une seconde
bombe atomique était lancée sur Nagasaki, faisant plus de 70 000 morts.
La
plupart des articles et les émissions de télévision qui commémorent le
soixantième anniversaire de cette hécatombe expliquent que, si les dirigeants
américains ont décidé d'utiliser la nouvelle arme atomique tout juste mise au
point contre ces deux villes, c'était pour mettre plus vite fin à la guerre
mondiale. C'est une contre-vérité.
Que la
décision du président Truman d'utiliser l'arme atomique n'ait pas été prise
pour des raisons militaires, c'est ce que confirme dans ses mémoires l'amiral
Leahy, chef d'état-major de Roosevelt puis de Truman: «L'utilisation à
Hiroshima et Nagasaki de cette arme barbare ne nous a pas aidés à remporter la
guerre (...) En étant le premier pays à utiliser la bombe atomique, nous avons
adopté (...) la règle éthique de barbares.»
La
puissance dévastatrice de la bombe atomique aida les dirigeants japonais à
faire accepter à leur peuple une capitulation sans condition qu'ils avaient
jusque-là refusée.
Mais,
quoi qu'ils aient dit, ils étaient prêts à capituler dès mai-juin 1945, à la
seule condition que les Alliés acceptent le maintien de l'empereur. Et de leur
côté les États-Unis étaient prêts à faire cette concession. Un rapport du
Département d'État avait souligné dès 1943 que le maintien de l'institution
impériale serait un «facteur important en vue de l'établissement d'un
gouvernement d'après-guerre stable et modéré».
Or il y
avait un risque sérieux que l'appareil d'État japonais s'effondre à la suite de
la capitulation, avant que les troupes américaines ne débarquent (elles étaient
encore à 500 km), contrairement à l'Allemagne qui était totalement occupée, et
donc sous contrôle, au moment de sa capitulation.
Mais les
États-Unis poursuivaient d'autres objectifs que de hâter la capitulation du
Japon. Comme tous leurs alliés, y compris l'URSS de Staline, ils étaient hantés
par la crainte qu'une profonde révolte ne soulève les peuples, particulièrement
ceux des puissances vaincues, contre la bourgeoisie et les dirigeants
responsables de cette guerre qui avait causé tant de souffrances et d'horreurs.
Ils
craignaient l'éclatement de troubles révolutionnaires semblables à ceux qui
avaient marqué la fin de la Première Guerre mondiale. L'ordre social en avait
été dangereusement déstabilisé. La Révolution russe avait ouvert une longue
période d'instabilité, de mouvements révolutionnaires, d'insurrections et de
guerres civiles, et de soulèvements contre l'impérialisme dans les pays pauvres
ou colonisés.
A bien
des égards le Japon ressemblait d'ailleurs à la Russie de 1917: des millions de
paysans maintenus sous le joug d'une structure sociale arriérée, des classes
dominantes pleines de morgue, un régime militariste et bureaucratique sur le
point d'être vaincu, une classe ouvrière surexploitée mais moderne et très
concentrée.
C'était
déjà pour prévenir tout esprit de révolte chez les opprimés que les États-Unis
et l'Angleterre avaient pratiqué les bombardements terroristes contre les
villes allemandes et japonaises, dès que leurs avions avaient pu les atteindre.
En février 1945 Dresde, ville sans intérêt militaire qui abritait des dizaines
de milliers de réfugiés, avait été rasé. Il y aurait eu 135 000 morts, presque
autant qu'à Hiroshima. Mais il avait fallu déployer plusieurs milliers de
bombardiers et de chasseurs, lancer 650 000 bombes incendiaires et des dizaines
de milliers de bombes classiques pour obtenir le même résultat qu'un seul avion
porteur d'une bombe atomique de 4,5 tonnes.
L'utilisation
de la bombe atomique fut une gigantesque et effrayante démonstration de force
des États-Unis: à l'égard du peuple japonais d'abord, qu'il contraignit à
accepter le maintien de l'empereur et de l'appareil d'État qui l'avait mené à
la catastrophe; à l'égard de l'Union soviétique, alliée alors mais héritière
lointaine de la Révolution russe; enfin à l'égard des travailleurs et des peuples
opprimés du monde entier tentés de se révolter. A tous ceux-là, la menace de la
terreur nucléaire devait inspirer le respect de l'ordre impérialiste.
Le feu
nucléaire qui s'abattit sur Hiroshima et Nagasaki éclaire le vrai visage de la
prétendue «croisade des démocraties contre le fascisme» qu'aurait été - pour
les défenseurs des puissances capitalistes alliées - la Seconde Guerre
mondiale.
Vincent GELAS
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