La
politique criminelle de Poutine, chef de la bureaucratie russe, face à la
pression de l’impérialisme
02 Mars 2022
Le ministre français des Affaires
étrangères, Le Drian, a qualifié Poutine de « semeur de guerres », l’Élysée a
parlé de sa « paranoïa » tandis que Biden évoquait son « désir d’empire ». Mais
la réalité est que la Russie a vu sa zone d’influence disputée et de plus en
plus réduite depuis les années 1990.
L’impérialisme, surtout
l’impérialisme américain, le plus puissant, exerce une pression économique et
militaire aux marges de la Russie qui crée des rivalités et a déjà provoqué
plusieurs guerres. Et si le conflit actuel en Ukraine pourrait être plus grave,
il n’en relève pas moins de la même logique.
Après la dissolution de l’URSS
par ses propres dirigeants en 1991, les républiques ex-soviétiques ont connu
une décennie chaotique. Les cercles dirigeants étaient issus de la bureaucratie
qui avait usurpé le pouvoir du temps de Staline, une couche sociale parasitaire
de plusieurs millions de membres présents à tous les niveaux de l’appareil
d’État. Ils se sont jetés sur tout ce qui dans l’économie pouvait rapporter
gros et rapidement. Ils se sont approprié les entreprises les plus rentables et
les banques, par des méthodes autoritaires et mafieuses.
Fortune pour quelques oligarques,
déception pour beaucoup d'autres
La population des États issus de
cette décomposition de l’URSS voyait son niveau de vie s’effondrer à une
vitesse vertigineuse. Mais l’enrichissement de quelques hommes à la tête des
nouveaux pouvoirs indépendants, ceux qu’on allait appeler les oligarques, a été
tout aussi spectaculaire. Cette décennie qui avait des allures de Far-West
version orientale se traduisit aussi par la chute des États ex-soviétiques au
rang de pays pauvres pour certains, tel le Tadjikistan, et de pays plus ou
moins développés mais en voie de régression pour les autres. Au sommet des
appareils d’État, les hommes et clans de la bureaucratie les mieux placés pour
exploiter la situation à leur profit s’en tiraient brillamment. En revanche les
moins chanceux, et surtout la grande masse des bureaucrates petits et moyens
qui avaient bénéficié d’une position dominante dans la société soviétique, se
retrouvaient déclassés et humiliés.
C’est dans ce contexte que
Poutine arriva au pouvoir en janvier 2000, désigné par son prédécesseur,
Eltsine. Ancien officier supérieur du KGB, il s’employa à mettre un coup
d’arrêt à cette évolution en rétablissant ce qu’il appela la « verticale
du pouvoir ». Pour stopper les volontés indépendantistes qui menaçaient
désormais la Fédération de Russie elle-même, il déclencha une deuxième guerre
de Tchétchénie, rasa sa capitale Grozny et mit au pas les autorités locales. Il
installa dans les régions des gouverneurs à sa botte. Quant aux oligarques, il
leur fit comprendre qu’ils devraient eux aussi se soumettre au pouvoir,
partager leur mainmise sur certains secteurs stratégiques comme l’énergie,
réinvestir en Russie une partie de leur fortune, qu’ils faisaient fuir à
l’étranger. Les oligarques qui crurent pouvoir s’y opposer le payèrent,
certains de leur vie, d’autres d’années de prison et de la confiscation de
leurs trusts. Beaucoup émigrèrent définitivement et les autres firent
allégeance pour continuer leurs affaires.
Si Poutine a ainsi pu rétablir un
État fort, c’est fondamentalement parce que le régime autoritaire qu’il incarne
depuis déjà vingt-deux ans répond aux intérêts collectifs de sa base sociale,
cette bureaucratie qui avait failli tout perdre avec la disparition de l’ancien
État. Poutine sut asseoir son pouvoir en permettant aux clans au sommet de
l’État de continuer à faire des profits par milliards pour peu qu’ils acceptent
son autorité. Mais il le fit aussi en rendant à la bureaucratie dans son ensemble,
du haut en bas de la chaîne hiérarchique, la possibilité de vivre de ses
prébendes.
Cette politique était possible du
fait de l’héritage de l’économie soviétique, des immenses richesses de la
Russie. Ses matières premières, le gaz, le pétrole ont vu leur cours exploser
dans les années 2000. Les liens subsistaient aussi avec les autres républiques
ex-soviétiques qui dataient de l’époque antérieure, celle de l’économie
planifiée à l’échelle de l’URSS.
Retour de l'Etat fort
Dès les années 1990, l’impérialisme
a commencé à avancer ses pions dans tout l’espace ex-soviétique. Le capitalisme
était bien incapable d’assimiler l’économie construite à l’époque soviétique.
Mais il était prêt à exploiter ce qui pouvait lui être profitable, c’est-à-dire
des marchés où exporter ses capitaux, des matières premières, de la
main-d’œuvre qualifiée à moindre coût. Une rivalité s’instaura aussitôt entre
la Russie de Poutine, qui cherchait à reconstituer des partenariats avec les
ex-républiques soviétiques en préservant les liens économiques historiques
indispensables, et l’impérialisme qui s’efforçait de les attirer aux dépens de
la Russie. Symbole de cette politique expansionniste, l’OTAN, au lieu de se
dissoudre comme certains dirigeants américains l’avaient promis à Gorbatchev en
1990, a entouré la Russie de bases militaires, dans les pays Baltes, en
Roumanie, en Pologne.
La question des relations avec
l’Ukraine, qui a débouché sur la crise de 2014 et en fin de compte sur la
guerre actuelle, après d’autres conflits en Géorgie, en Moldavie, en Arménie,
illustre cette rivalité. En 2014, l’Union européenne a en effet proposé un
accord d’association à l’Ukraine, avec une zone de libre-échange, des mesures
de coopération en matière énergétique, nucléaire, etc., à condition que
l’Ukraine refuse le partenariat proposé au même moment par la Russie.
En fait, les États impérialistes,
à commencer par les États-Unis, ont évidemment vu la fin de l’URSS d’un œil
favorable. Les dirigeants russes qui étaient, de l’aveu de Poutine, tout prêts
à coopérer ont dû se rendre compte que l’impérialisme voulait une Russie à
genoux, soumise à son bon vouloir et réduite à la portion congrue.
La bureaucratie et son chef ne
peuvent l’accepter. De plus, avec la crise de l’économie capitaliste, la pression
impérialiste s’accroît partout dans le monde, et l’Est de l’Europe ne fait pas
exception.
Poutine, représentant de
l’oligarchie et de toute la bureaucratie russe, est évidemment un ennemi des
travailleurs, tout autant que les dirigeants impérialistes. Il est l’ennemi de
ceux de son pays comme de ceux de l’Ukraine où il mène la guerre aujourd’hui.
Pour autant, la situation actuelle n’est pas due à sa personnalité, mais à la
guerre économique qui règne sur la planète et qui ne peut manquer, tant que le
capitalisme règnera, de se transformer à un moment ou à un autre en guerre tout
court.
Pierre MERLET (Lutte ouvrière n°2796)