Russie :
« Les morts se mettent enfin à parler »
C’est sous ce titre qu’un
quotidien russe des milieux d’affaires, Kommersant, vient d’annoncer une
découverte extraordinaire. À Verkhneouralsk, dans la région séparant la Russie
d’Europe de la Sibérie, les ouvriers chargés de faire des travaux dans une
prison y ont mis au jour une série de documents que des militants trotskystes
soviétiques avaient cachés, sous le plancher de leur cellule, dans les années
1930.
Dans cette cache on a retrouvé
quarante-six documents et brochures. Tout cela écrit à la main, composé avec
très peu de moyens dans un format très petit pour pouvoir être caché, et
transmis. Il s’agissait de les faire passer d’un isolateur à un autre – du nom
des prisons à régime renforcé où la dictature stalinienne enfermait des
milliers de bolcheviks-léninistes, comme s’appelaient eux-mêmes les trotskystes
– ou à l’extérieur, à des militants de l’Opposition de gauche alors encore en
liberté pour peu de temps.
Dépouiller et publier tous ces
documents pourrait prendre deux ans, et seule une volumineuse brochure, écrite
en 1932 ou 1933 à Verkhneouralsk, a pour le moment paru sur le site de Kommersant.
Elle s’intitule La situation dans le pays et les tâches des
bolcheviks-léninistes. On y voit ces militants, emprisonnés depuis des
années, épiés, privés de tout, de plus en plus coupés de l’extérieur et de
leurs camarades – tel Trotsky que Staline avait expulsé d’Union soviétique en
espérant le neutraliser – retrouver les mots, les analyses de Trotsky. Par
exemple quand ils défendent l’avenir de l’État ouvrier né d’Octobre 1917,
avenir que compromettent la gabegie bureaucratique, l’impréparation et la brutalité
de la collectivisation stalinienne…
Alors que la classe ouvrière
soviétique se trouvait sous la botte du stalinisme, qu’à l’étranger les partis
sociaux-démocrates et staliniens cherchaient, chacun à sa façon, à éviter que
la classe ouvrière reparte à l’assaut du pouvoir, et alors qu’en URSS nombre
d’anciens opposants à Staline avaient capitulé, ces militants trotskystes ne
baissaient pas les bras.
Même dans les pires conditions,
ils restaient décidés à combattre à la fois le stalinisme, la bureaucratie et
la domination de la bourgeoisie mondiale. Cela sous leur drapeau : celui du
pouvoir de la classe ouvrière, celui de la fidélité au léninisme, à la
révolution d’Octobre 1917 et à la révolution mondiale.
Staline et ses sbires se
préparaient à liquider le parti de Lénine dans les procès de Moscou et à faire
fusiller à la mitrailleuse, faute d’avoir pu les briser, des milliers de
trotskystes regroupés dans les camps de Vorkouta, dans le Grand Nord, et de la
Kolyma, dans l’Extrême-Orient sibérien. Cependant, les militants de
Verkhneouralsk dont on retrouve quatre-vingt cinq ans après les écrits et la
preuve de leur activité, cherchaient à maintenir jusqu’au bout le flambeau.
On voit réapparaître les noms de
quelques-uns de ces militants qui allaient périr : Mikhaïl Bodrov, entré dans
l’Armée rouge à dix-sept ans, fusillé à trente-cinq ans ; Gdali Milman,
komsomol devenu trotskyste, fusillé à trente-et-un ans ; Barkine ; Melnaïs,
etc.
Lutte ouvrière veut s’inscrire
dans le fil de cette tradition communiste révolutionnaire, de la fidélité à la
classe ouvrière que seul le trotskysme a su incarner au travers de ses
militants, comme ceux de Verkhneouralsk, une politique authentiquement
communiste, ouvrière, internationaliste, qu’ils ont défendue sous le stalinisme,
quand il était « minuit dans le siècle ».
C’est en prenant exemple sur ce
qu’ils ont été et en reprenant les idées du trotskysme qu’aujourd’hui, en
France comme partout, les nouvelles générations pourront aller de l’avant dans
la lutte pour un monde débarrassé de l’exploitation et du capitalisme.
P. L. (Lutte ouvrière n°2603)
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Des dirigeants de l'Opposition de gauche autour de Léon Trotsky (Wikipédia) |