Elle vient d’avoir 100 ans avant-hier. Pour elle un grand
« salut et fraternité »
Eva TICHAUER
Un
article de l’Argenteuillais d’il y a quatre ans, dans la série « Portraits
d’Argenteuillais : Eva Tichauer »
Eva Tichauer ? Une rayonnante
femme de l’ombre. Rescapée des camps d’extermination nazis, elle n’a cessé de
raconter l’horreur. Sobrement. À l’image de ses engagements, notamment
politiques.
Bio
1918 : naissance à Berlin
1942 : rafle du Vélodrome d’hiver
1944 : libération des camps nazis
Années 70 : installation à
Argenteuil
Les faits, rien que les faits.
Plus de trente mois de déportation durant la Seconde Guerre mondiale. Relatés
pendant des dizaines d’années devant collégiens et lycéens, à l’occasion du
Concours national de la Résistance et de la Déportation. Pour ne pas oublier.
Eva Tichauer n’est pas adepte des récits larmoyants. Naissance à Berlin, en
1918, dans une famille « socialiste, francmaçonne et juive ». Le père est
avocat et notaire. Quand Hitler accède « légalement » au pouvoir en 1933, la
famille se réfugie en France et pense avoir trouvé une nouvelle patrie, «
surtout avec le Front populaire », souligne Eva. Mais après avoir été
naturalisée en 1937, la guerre et la prise de pouvoir par Pétain privent la
famille de sa nouvelle nationalité. Le père d’Eva, arrêté par les nazis en
décembre 1941, est déporté. Sans retour. Le 16 juillet 1942, la rafle du Vel’
d’Hiv’ mène Eva et sa mère au camp de Drancy. Puis vers les camps d’Auschwitz-
Birkenau. « Dès notre arrivée, Maman a été gazée ». L’émotion affleure,
contenue, Eva s’agrippant à des dates, bouées flottant au milieu des souvenirs dramatiques.
« J’avais commencé des études de
médecine, je parlais bien sûr allemand. Cela a grandement contribué à me
permettre de rester en vie », préciset- elle. Affectée à l’infirmerie, les
moyens sont dérisoires. Elle étudie aussi la présence de caoutchouc naturel
dans les pissenlits. Qu’elle aurait pu bouffer par la racine. Si ce n’était une
résistance hors norme qui préserve encore cette vieille dame de 96 ans. Pleine
d’humour, elle envoie des mèls à l’autre bout du monde et écoute Luis Mariano
sur Deezer*.
Retour à son limpide récit dans
les marécages de l’Histoire. 1941, l’Armée rouge avance. Les nazis évacuent les
camps. Direction Ravensbrück et les êtres qui continuent de « disparaître au
fur et à mesure », lâche-t-elle laconique, mais sans froideur, juste pudique.
Dans la gamelle, un peu de soupe aux épluchures de pomme de terre, parfois une
ration de pain noir avec un peu de margarine. « Je me rappelle de ça », comme
surprise de voir ce détail pris dans le tamis de sa mémoire. Puis une longue
errance jusqu’aux bords de l’Elbe mais à l’issue enfin heureuse. 8 et 9 mai
1945 : l’Allemagne nazie vient de capituler, sans condition.
Retour en France, sans domicile
et sans un sou. Eva Tichauer parvient tout de même à terminer ses études de
médecine mais face à l’urgence, rejoint l’hygiène scolaire et universitaire,
nouvellement créée au sein de l’Éducation nationale. Responsable des
départements de la Manche, puis de la Gironde, elle y adopte ses deux enfants.
Membre du Parti communiste depuis la Libération, elle milite « mais n’a jamais
voulu être permanente du parti », quitté en 1995. Après Nanterre, elle
terminera sa carrière à Argenteuil, à la tête du bureau d’hygiène. Retraitée,
après un crochet à Marseille, elle est revenue à Argenteuil en début d’année,
pour se rapprocher de ses enfants. Avec toujours le désir de transmettre ce
passé pour construire l’avenir. « Cela ne doit pas se reproduire. Mais quand on
voit le monde tel qu’il est : terrorismes, guerres, commerce des armes, alors
que certains meurent de faim. On en vient à douter de voir émerger un homme
meilleur », déplore Eva Tichauer. Qui rappelle, un rien fataliste, le poids de
ses 96 ans... La sagesse est-elle question d’âge ou de vécu ? Sachons en tout
cas rester humbles face à un tel destin…
* Service d’écoute de musique en
ligne.
S.Le.