Contrôle
ouvrier et expropriations
Dans les semaines qui suivirent
la révolution d’Octobre, la classe ouvrière prit en main le contrôle des
usines. Puis rapidement, devant le sabotage de la production par la
bourgeoisie, vinrent les expropriations, réalisées par les travailleurs
eux-mêmes. Le pouvoir confirma ces initiatives. Il organisa aussi la
nationalisation des banques et leur fusion en un système bancaire public
unique. Jour après jour, les points d’appui des anciennes classes dominantes
étaient détruits et remplacés par les fondements d’une organisation sociale
nouvelle. Voici un extrait du livre L’An I de la révolution russe
de Victor Serge sur le sujet :
« Le programme économique des
bolcheviks comportait le contrôle ouvrier de la production et la
nationalisation des banques. Le décret instituant le contrôle ouvrier de la
production fut rendu dès le 14 novembre. Il légalisait l’ingérence des ouvriers
dans la gestion des entreprises, les décisions des organes de contrôle étant
obligatoires et le secret commercial aboli. (…) Par l’exercice du contrôle, la
classe ouvrière eût appris à diriger l’industrie ; par la nationalisation des
établissements financiers et la maîtrise du crédit, elle eût récupéré, au
profit de l’État, une partie des bénéfices prélevés par le capital sur le
travail, diminuant d’autant l’exploitation. (…) Cet acheminement raisonné vers
le socialisme ne pouvait pas être du goût du patronat. (…)
Le sabotage de la production par
les patrons entraînait l’expropriation par voie de représailles. Quand le
patron arrêtait le travail, les ouvriers remettaient eux-mêmes, à leur propre
compte, l’établissement en activité. (…)
Les autorités soviétiques
entreprirent un peu partout de réquisitionner les stocks de vivres des
commerçants, les vêtements chauds, les chaussures, la literie des riches. Les
visites domiciliaires se suivirent. Les impôts ne rentraient pas ; les
autorités locales imposèrent – toujours de leur propre initiative et pour leurs
propres besoins – des contributions à la population aisée. (…) À
Ivanovo-Voznessenk, les ouvriers nationalisent, à la suite du sabotage
patronal, deux manufactures textiles. Dans le gouvernement de Nijni-Novgorod,
diverses entreprises sont nationalisées, les patrons ne voulant plus diriger la
production. Dans le gouvernement de Koursk, les raffineries de sucre, les
tramways, une fabrique de cuir, plusieurs ateliers mécaniques passent, pour des
raisons analogues, entre les mains des ouvriers. Dans le bassin du Donietz, les
directeurs des mines se joignent aux Blancs. Les ouvriers de soixante-douze
mines constituent un Conseil de l’économie qui assume la gestion des
entreprises. (…)
Le Conseil supérieur de
l’économie nationale fut créé le 5 décembre pour coordonner l’action de tous
les organes locaux ou centraux régissant ou contrôlant la production (…). Mais,
dans la période que nous étudions, l’autorité locale est, en somme, la seule
qui compte. (…)
L’expropriation
des banques
La nationalisation des banques,
rendue nécessaire par la résistance des établissements financiers au contrôle,
par leur refus de collaborer avec le pouvoir prolétarien, par leur rôle dans le
sabotage de la vie économique, fut l’une des plus grandes initiatives prises
avant la réunion de la Constituante. Le décret érigeant la banque en monopole
d’État parut le 14 décembre.
Toutes les banques privées
fusionnaient avec la Banque d’État. Les intérêts des petits déposants seraient
entièrement sauvegardés. Un second décret prescrivait, sous peine de
confiscation, l’inventaire des coffres-forts appartenant aux particuliers. L’or
monnayé ou en ligot devait être réquisitionné et tous les fonds placés en
comptes courants à la Banque d’État. Les gardes rouges occupèrent les banques ;
les directeurs récalcitrants furent coffrés. (…)
La nationalisation des banques
suscita le jour même, à l’Exécutif panrusse des soviets, un débat entre Lénine
et un menchevik de la fraction internationaliste. Ce dernier (d’accord sur le
principe) souligna la complexité et la gravité des questions financières. (…)
“Vous nous parlez, dit Lénine, de
la complexité de la question, et ce sont des vérités premières connues de tous.
Si elles ne servent qu’à entraver les initiatives socialistes, celui qui les
emploie n’est qu’un démagogue (…). Vous acceptez en principe la dictature du
prolétariat, mais quand on l’appelle par son nom en langue russe, quand on
parle d’une poigne de fer, vous invoquez la fragilité et la complexité des
choses.” »