Je
viens de lire, enfin, L’Aveu d’Artur London, un livre paru en 1968, dont
l’auteur fut, en 1951, un des condamnés de l’affaire Slansky. Au-delà de cette
l’affaire sordide, ce livre évoque l’univers des partis staliniens dont le rôle fut une gigantesque catastrophe pour le mouvement ouvrier et le combat pour le communisme, malgré le courage et
l’engagement de nombre de leurs militants. Mais le mieux, pour connaître
l’Affaire elle-même, est de lire ce que notre hebdomadaire Lutte ouvrière écrivait en 2001, cinquante ans
après ces évènements.
Il y a
cinquante ans (1951) : en Tchécoslovaquie, l'affaire Slansky
Le 27 novembre 1951, Rudolf
Slansky était arrêté à Prague, en Tchécoslovaquie. C'était le début du dernier
des grands procès politiques de l'après-guerre dans les pays dits de "
Démocratie populaire " où l'URSS avait pris pied en 1945. Le premier
procès, celui de Rajk en Hongrie, avait eu des répliques en Bulgarie, Pologne,
République Démocratique Allemande, Roumanie.
A chacun de ces procès, des
groupes de hauts dirigeants de l'Etat et du parti étaient accusés d'espionnage
au profit des Etats-Unis (et, quand ils étaient d'origine juive, accusés de
" sionisme ", l'URSS ayant cessé de soutenir Israël comme elle
l'avait fait au tout début de l'existence de cet Etat), avouaient les crimes
les plus invraisemblables, étaient condamnés et exécutés. Dans chaque cas, on
apprit par la suite que tout était faux, dans l'accusation comme dans les
aveux.
A 50 ans, Rudolf Slansky avait un
long passé de militant du PC tchécoslovaque. Longtemps militant clandestin,
député en 1935, réfugié en URSS au début de la guerre mondiale, puis combattant
dans les maquis slovaques, secrétaire général du parti de 1945 à la veille de
son arrestation, ami de longue date de Gottwald, le " Staline
tchécoslovaque " : c'était un stalinien de choc, un " moscovite
" sans états d'âme.
C'est même lui qui lança dans son
pays la chasse aux " titistes " et lança la première grande "
affaire ", impliquant le ministre des Affaires étrangères, Clementis.
" Il nous faut un Rajk tchécoslovaque ", aurait-il déclaré.
Finalement ce fut lui qui fut choisi pour tenir le rôle du " Rajk
tchécoslovaque ", sans doute à cause de son passé de résistant authentique
et des amitiés qu'il avait conservées parmi les anciens partisans.
Brisé par les tortures et sans
perspectives politiques autres que celles de ses bourreaux, Slansky avoua tout
ce qu'on lui demanda d'avouer, comme les autres " traîtres ". Il est
symptomatique que ceux qui survécurent à ces procès, une fois réhabilités,
revinrent souvent au pouvoir pour mener une politique prosoviétique. Ce fut en
particulier le cas de Kadar en Hongrie en 1956 et, en Tchécoslovaquie même,
celui de Husak après le Printemps de Prague de 1968. Coaccusé de Slansky, Artur
London refusa de tout avouer, lui. Il réussit pourtant à sauver sa vie et eut
ensuite le loisir de décrire ce qu'il avait vécu dans le livre L'aveu. Mais il
n'en devait pas moins rester toute sa vie un militant stalinien.
Dans ses souvenirs, la femme de
Slansky rapporte ces phrases de son mari, juste après leur arrestation : "
Je sais, c'est dur. Mais si le camarade Gottwald le sait, Staline le sait
certainement aussi. Et nous devons pourtant le croire. " Ou encore : "
Si Staline le dit, ce doit être vrai. " De là aux aveux, il n'y avait pas
loin.
Le procès de Slansky se déroula
en novembre 1952. Onze des accusés, dont Slansky et Clementis, furent condamnés
à mort et exécutés. La mort de Staline, le 5 mars 1953, mit fin à la série des
grands procès et interrompit l'instruction contre le " complot des blouses
blanches " en Union soviétique.
Selon un calcul effectué en 1968,
les purges auraient touché 136 000 personnes en Tchécoslovaquie, sur 14
millions d'habitants (presque 1 % !).
Les procès à grand spectacle
comme celui de Slansky, supervisés de près par les services secrets de l'URSS,
répondaient à une nécessité bien précise, dans les pays sous contrôle
soviétique au début de la Guerre froide : éliminer des hommes qui, par leur poids
personnel et leur passé, pouvaient incarner un jour des aspirations
nationalistes - ce que l'on appelait alors le " titisme ". En même
temps, la terreur visait à interdire toute révolte de la population contre les
appareils d'Etat dictatoriaux installés et soutenus par l'Union soviétique.
Les méthodes des staliniens, dont
les purges devinrent le symbole, allaient cependant, à long terme, s'avérer
impuissantes à maintenir l'emprise soviétique sur les pays de l'Est européen.
En revanche, elles allaient contribuer à démontrer combien les régimes qui y
avaient été installés au lendemain de la guerre étaient l'antithèse du
socialisme et du communisme dont ils se réclamaient. Malheureusement, ils
allaient aussi contribuer, tout comme le régime stalinien en URSS, à
discréditer ces idées dans une grande partie de la population et de la classe
ouvrière, à commencer par celles des pays de l'Est.
Vincent GELAS (Lutte ouvrière n°1743 du 14.12.2001)