Brésil :
Bolsonaro élu, un résultat de la crise et de la faillite de la gauche au
pouvoir
Le 28 octobre, avec 55 % des
voix, Jair Bolsonaro a été élu président du Brésil. Après avoir végété 28 ans
sur les bancs de l’Assemblée, ce capitaine en retraite a réussi à faire croire
à une partie de la population que son élection pourrait apporter une solution à
ses problèmes les plus urgents.
Bolsonaro a basé une grande
partie de sa campagne sur la démagogie sécuritaire, se disant partisan de la
libéralisation des ventes d’armes, d’une répression plus dure contre tous les
délinquants. La violence pourrit en effet la vie de tous les Brésiliens, et en
particulier celle des habitants des favelas, les quartiers les plus pauvres.
Mais elle est le produit d’une société très inégalitaire, où police et justice
sont ouvertement en faveur des possédants, où 60 000 personnes décèdent chaque
année de mort violente.
En même temps qu’il adoptait
comme symbole le geste de tirer au pistolet, Bolsonaro s’est présenté comme un « homme
de bien », défenseur de la morale, du patriotisme, de la religion, de
la propriété, avec l’appui des Églises évangéliques omniprésentes et des
lobbies agricoles et industriels. Il a spéculé sur tous les préjugés les plus
rétrogrades et haineux, contre les Indiens, les Noirs, les féministes, les
homosexuels.
Reprenant les positions de
l’extrême droite la plus anticommuniste, Bolsonaro a promis de mitrailler la « racaille
du PT », de « nettoyer » la société des partisans du
régime vénézuélien de Chavez et de Maduro. Lois sociales, paysans sans terre
occupant illégalement les grandes propriétés non cultivées, tout ce qui
s’apparente de près ou de loin à la gauche, même la plus modérée, Bolsonaro
l’assimile dans ses discours au « spectre rouge » du
collectivisme. Pour parfaire son image d’homme à poigne, il s’est attaché à
parer de toutes les vertus la dictature militaire qui s’est maintenue au Brésil
de 1964 à 1984 au prix d’une sanglante répression.
L’élection de Bolsonaro ne
signifie pas pour autant que la majorité de la population de ce pays de 210
millions d’habitants serait devenue misogyne, homophobe et nostalgique de la
dictature. La victoire de ce politicien d’extrême droite exprime le rejet
massif de toute la classe politique, gauche et droite confondues dans la même
haine. Ce rejet touche bien sûr en premier lieu le Parti des travailleurs (PT)
de Lula. Celui-ci est arrivé au pouvoir en 2003 en promettant de gouverner
honnêtement et en faveur des couches populaires. Profitant d’un contexte
économique alors favorable, il a mis en place des programmes sociaux qui ont
amélioré un peu le sort des couches les plus pauvres sans changer véritablement
la société brésilienne, demeurée l’une des plus inégalitaires de l’Amérique
latine.
Le PT s’est comporté en gérant
loyal des affaires de la bourgeoisie et quand, à partir de 2014, la crise
économique a frappé de plein fouet le Brésil, il l’a fait payer aux
travailleurs et aux classes populaires. Les 13 millions de chômeurs, le retour
de l’inflation ont jeté dans la rue aussi bien les petits bourgeois qui
craignaient pour leur niveau de vie que les salariés dont le travail et les
revenus étaient menacés. Les scandales de corruption dans lesquels le PT s’est
retrouvé compromis, à l’instar des partis de droite, ont achevé de le
discréditer. Ceux qui ont manifesté par millions, en 2015 contre les hausses
dans les transports publics, et en 2016 contre la présidente Dilma Rousseff,
ont exprimé leur mécontentement dans les urnes en votant pour Bolsonaro.
Après treize années aux affaires,
le PT est parvenu à décevoir et à démoraliser sa base ouvrière, au point
qu’elle a apporté ses voix à un ennemi ouvert des travailleurs. Dans l’État de
Sao Paulo, où il s’est créé, son candidat, Haddad, a recueilli 16 % au
premier tour et 32 % au second, contre 53 et 68 % à Bolsonaro. Et
dans la ville de Sao Bernardo – plus de 700 000 habitants, 300 000 salariés dont
environ 130 000 métallurgistes, siège des grandes usines automobiles, fief du
PT, où Lula a milité et a encore son habitation – Bolsonaro a recueilli dès le
premier tour 46 % des voix, 60 % au second, contre 24 et 40 % à
Haddad.
L’élection de Bolsonaro est une
conséquence politique de la crise économique et de sa brutale aggravation. Mais
elle est aussi et surtout le résultat de la faillite et des trahisons de la
gauche au pouvoir. Lula, le PT et toutes les forces politiques qui l’ont
présenté comme le seul espoir des pauvres portent une écrasante responsabilité
dans l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite au Brésil.
La classe ouvrière a été capable
dans le passé de mener des luttes importantes et déterminées pour défendre ses
intérêts, y compris dans des conditions difficiles, sous le régime de dictature
militaire. Elle continue de représenter la seule force capable d’offrir une
perspective aux exploités du Brésil.
Vincent GELAS (Lutte ouvrière
n°2622)
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