Rwanda :
l’État français a du sang sur les mains
Vingt-quatre ans après le
génocide du Rwanda, et malgré quelques articles parus dans la presse, le voile
est encore loin d’être levé sur les responsabilités des autorités françaises
dans ce massacre qui fit un million de morts.
Le génocide organisé à partir
d’avril 1994 par l’État rwandais contre les Tutsis et les opposants au régime
ne fut pas le fruit d’une explosion de haine soudaine. Au contraire, la
dictature en place avait préparé ces massacres depuis des mois, voire des
années, à travers une propagande raciste systématique et en organisant des
milices armées pour tuer.
Mais pour le gouvernement français
de l’époque, où Balladur était le Premier ministre de Mitterrand, Juppé le
ministre des Affaires étrangères et auquel participaient aussi Villepin et
Sarkozy, il fallait soutenir le pouvoir en place.
Depuis 1974, la France avait
remplacé la Belgique comme puissance tutélaire du Rwanda. L’armée rwandaise fut
alors formée, équipée et soutenue par l’armée française.
À partir de la fin des années
1980, la dictature de Juvénal Habyarimana fut ébranlée par la lutte armée du
Front patriotique rwandais (FPR), représentant l’opposition et en particulier
les membres de l’ethnie tutsi réfugiés à l’étranger. Pour se maintenir au
pouvoir, le régime s’appuyant sur l’ethnie hutu renforça sa démagogie
antitutsis, propageant un racisme haineux. La France accompagna cette
évolution. Elle ne pouvait pas méconnaître les massacres, qui commencèrent dès
1993, parallèlement à l’avancée du FPR dans le pays.
Le 6 avril 1994, l’attentat
contre l’avion d’Habyarimana déclencha le coup d’État des plus extrémistes du
régime et le génocide. Les militaires et les conseillers français étaient sur
place. C’est même dans les salons de l’ambassade de France que fut formé ce
nouveau gouvernement génocidaire. L’armée française laissa faire les massacres,
dont ils avaient formé et armé les coupables.
Le pouvoir français tenait à
soutenir jusqu’au bout son allié, car il voyait dans une victoire du FPR un
succès pour les Anglo-Saxons, selon les termes en usage chez les gouvernants.
C’est par souci de défendre son influence et donc les profits de ses
capitalistes qu’il se fit le complice de ce génocide.
Quand la victoire du FPR devint
évidente, Mitterrand et Balladur décidèrent d’envoyer encore des soldats pour
protéger les génocidaires, en leur permettant de fuir vers le Zaïre voisin. Ce
fut l’opération Turquoise. Les miliciens, les ministres, bourgmestres et autres
bourreaux furent évacués au milieu de foules hutus apeurées par une propagande
leur présentant l’arrivée du FPR comme leur mort certaine. Des camps de
réfugiés dirigés par des génocidaires armés virent le jour au Kivu. Cela
aboutit à une déstabilisation de la région et à une guerre qui dure depuis et
qui a fait des millions de morts. Depuis toutes ces années, les gouvernements
successifs en France n’ont eu de cesse de nier leur rôle et leurs
responsabilités.
Dans le livre La fin du
silence, écrit récemment par un ancien officier français sur sa
participation à l’opération Turquoise, celui-ci raconte comment l’armée a
continué à armer les génocidaires en les protégeant. Il évoque aussi comment
des officiers ont empêché des soldats de venir au secours de réfugiés tutsis
pourchassés. Mais il ne fait là que revenir sur des épisodes qui ont été
largement connus, certes pas grâce aux autorités françaises.
Un journal comme Le Monde
s’est servi de ce livre pour feindre de vouloir faire la lumière sur la
politique menée à l’époque. En 1994, ce même journal niait l’existence d’un
génocide et reprenait toute la propagande du gouvernement français, y compris
dans sa version raciste, consistant à assimiler le génocide à une guerre entre
ethnies rivales. Tout comme il est vrai la majorité de la presse française
d’alors, Le Monde justifiait l’opération Turquoise, renvoyant dos à dos
les génocidaires et le FPR, comparé au régime khmer rouge, alors que pas un mot
n’était écrit contre la dictature extrémiste de Kigali. Quand ce journal feint
de découvrir, au bout de vingt-quatre ans, que « le rôle de la France, (…)
est loin d’avoir été clair pendant les massacres », il est bien
représentatif de la façon dont les hommes de la bourgeoisie française
voudraient continuer à cacher leurs responsabilités.
Marion AJAR (Lutte ouvrière n°2595)
Marion AJAR (Lutte ouvrière n°2595)
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