Après
Juillet : les bolcheviks réprimés et calomniés
Les journées de Juillet à
Petrograd à peine terminées, le gouvernement provisoire déclarait le Parti
bolchevik coupable d’avoir voulu s’emparer du pouvoir par une insurrection
armée. Peu lui importait qu’il ait au contraire contenu le mouvement dans les limites
d’une manifestation pacifique : sa progression dans la capitale et à Moscou
menaçait la coalition des « conciliateurs » socialistes-révolutionnaires et
mencheviks avec la bourgeoisie. Un procès fut intenté à Lénine et ses
compagnons, accusés de recevoir des financements de l’Allemagne et de trahir
les soldats du front, alors que l’offensive russe tournait à la débâcle.
« Dans la nuit du 4 (juillet), écrit
Trotsky, Pereverzev, qui était alors ministre de la Justice, livra à la
presse des « documents » censés prouver qu’à la tête du parti des bolcheviks se
trouvaient des agents stipendiés de l’Allemagne. Les dirigeants du Parti
socialiste-révolutionnaire (SR) et ceux des mencheviks nous connaissaient trop
bien, et depuis trop longtemps, pour prêter foi à cette accusation, mais en
même temps ils avaient bien trop intérêt à ce qu’elle prenne pour la dénoncer
au grand jour. Encore aujourd’hui, on ne peut sans dégoût évoquer le souvenir
de cette orgie de mensonges déversés dans les pages de tous les journaux bourgeois
et conciliateurs. »
Raskolnikov, dirigeant du soviet
de Cronstadt, bolchevik, élu par les marins, décrit sa surprise à la lecture
d’un journal bourgeois : « En première page tomba sous mes yeux une nouvelle
stupéfiante, soigneusement détaillée, celle de la fuite de Lénine pour
Cronstadt sous ma protection personnelle ! Le correspondant sans gêne,
remplissant de pure science-fiction les premières colonnes de la bourgeoise Vetcherka,
décrivait de manière sophistiquée les moindres détails, calculés pour un
lecteur ignorant des faits et donnant à tout le récit une apparence de
vraisemblance. »
Avec d’autres élus de Cronstadt,
Raskolnikov est inculpé comme organisateur de la manifestation du 4 juillet. «
Pokrovsky (SR de gauche, membre du comité exécutif de Cronstadt) m’appela
d’urgence au soviet. Il me montra aussitôt un télégramme tout juste arrivé.
Celui-ci était adressé au commandant de la forteresse de Cronstadt et lui
prescrivait d’arrêter sans délai Rochal, Remnev et moi-même, et de nous envoyer
à Petrograd. Le télégramme spécifiait qu’en cas de refus d’exécuter cet ordre,
Cronstadt subirait un blocus et ne recevrait plus ni pain, ni argent.
J’étais conscient qu’il fallait à
tout prix qu’un dirigeant du parti tel que Lénine échappe à la prison, parce
qu’à ce moment-là, en cas d’arrestation, sa vie même aurait été sérieusement en
danger entre les mains de la camarilla contre-révolutionnaire. (...)
Mais nous, de mon point de vue, nous devions nous présenter devant le tribunal
du gouvernement provisoire, pour réhabiliter publiquement le parti et
nous-mêmes, nous efforcer de transformer notre procès en grande démonstration
politique contre le régime bourgeois et démasquer ses inventions hallucinantes
contre le parti de la classe ouvrière. »
À Petrograd, un officier haineux
reçoit les inculpés venus se présenter aux arrêts : « Comment, on ne vous a
pas encore tués ? On aurait dû vous fusiller en chemin. »
Trotsky décrit ainsi la situation
: « Notre presse était écrasée. Petrograd la révolutionnaire sentait que la
province et l’armée restaient loin de lui être acquises. Dans les quartiers
ouvriers, le trouble s’instaura pour un court moment. Des mesures répressives
s’abattirent sur la garnison, avec des régiments dissous et quelques unités
désarmées. (...) Les prisons étaient bondées d’ouvriers et soldats
révolutionnaires. Pour instruire l’affaire des 3, 4 et 5 juin, on avait rameuté
parmi les juges tous les anciens chiens d’arrêt du tsarisme. Et c’est dans ces
conditions que les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks osaient
exiger de Lénine, de Zinoviev et d’autres camarades qu’ils se mettent
volontairement entre les mains de la “justice”. »
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