Le retour
de Lénine et les thèses d’avril
La révolution de Février a abouti
à la fin du pouvoir tsariste et à l’installation d’un gouvernement provisoire
comprenant des représentants socialistes (mencheviks) et
socialistes-révolutionnaires. Les soviets, les conseils ouvriers qui se sont
créés durant la révolution, lui accordaient leur soutien, avec l’accord de la
direction du Parti bolchevik. Lénine, arrivé le 3 avril (16 avril selon notre
calendrier) de son exil de Suisse, va immédiatement combattre cette politique.
L’arrivée de Lénine est ainsi décrite par l’historien Soukhanov, alors
menchevik : « Devant la gare de Finlande, la foule remplissait toute la
place, laissant à peine passer les tramways. Une magnifique bannière portant
l’inscription « Comité central du POSDR (Bolcheviks) », brodées en lettres
d’or, dominait d’innombrables drapeaux rouges sous lesquels s’étaient rangées
des unités militaires avec leur orchestre. (…) Dans la gare c’était également
la cohue : délégations, drapeaux, bannières où l’on exigeait des laissez-passer.
(…) Sur le quai, les préparatifs étaient encore plus éclatants : militaires
alignés prêts à présenter les armes, drapeaux suspendus, arcs de triomphe rouge
et or, inscriptions de bienvenue, mots d’ordre révolutionnaires. »
« Vive la
révolution socialiste mondiale »
Lénine répond ainsi au discours
du délégué du soviet de Petrograd venu l’accueillir : « Chers camarades,
soldats, marins et ouvriers ! Je suis heureux de saluer en vous la révolution
russe victorieuse, de vous saluer en tant que détachement d’avant-garde de
l’armée prolétarienne mondiale… La guerre de rapine impérialiste est le
commencement de la guerre civile dans toute l’Europe… L’heure n’est pas loin
où, à l’appel de notre camarade Karl Liebknecht, les peuples tourneront les armes
contre leurs exploiteurs capitalistes… L’aube de la révolution socialiste
mondiale luit… En Allemagne, tout est en ébullition… D’un moment à l’autre,
chaque jour, on peut s’attendre à l’écroulement de tout l’impérialisme
européen. La révolution russe que vous avez accomplie en a marqué les débuts et
a posé les fondements d’une nouvelle époque. Vive la révolution socialiste
mondiale ! »
Ce discours annonce déjà le
programme que Lénine va proposer dès le lendemain sous le nom de Thèses
d’avril. Il y réaffirme qu’il ne faut accorder aucun soutien au
gouvernement provisoire et « démontrer le caractère entièrement mensonger de
ses promesses, notamment de celles qui concernent la renonciation aux annexions
». Pour lui, il faut démasquer le caractère impérialiste de la politique du
gouvernement provisoire, au lieu de propager l’illusion que ce gouvernement de
capitalistes pourrait en changer. Il faut « reconnaître que notre parti est
en minorité et ne constitue pour le moment qu’une faible minorité dans la
plupart des soviets des députés ouvriers, en face du bloc de tous les éléments
opportunistes petits-bourgeois, tombés sous l’influence de la bourgeoisie et
qui étendent cette influence sur le prolétariat, (...) expliquer aux
masses que les soviets des députés ouvriers sont la seule forme possible de
gouvernement révolutionnaire.(...) Notre tâche, tant que ce gouvernement
se laisse influencer par la bourgeoisie, ne peut être que d’expliquer
patiemment, systématiquement, opiniâtrement aux masses les erreurs de leur
tactique, en partant essentiellement de leurs besoins pratiques. »
Les thèses provoquent une crise
au sein de la direction du Parti bolchevik, où Lénine se retrouve isolé. Le
journal du parti, la Pravda, écrit : « Pour ce qui est du schéma
général du camarade Lénine, il nous paraît inacceptable dans la mesure où il
présente comme achevée la révolution démocratique bourgeoise et compte sur une
transformation immédiate de cette révolution en révolution socialiste. »
La discussion au sein du Parti
bolchevik se poursuit pendant des jours, et c’est finalement l’adhésion des
ouvriers, de la base du parti, qui permet à l’orientation définie par Lénine de
l’emporter.
« Tout le
pouvoir aux soviets ! »
Quelques jours plus tard, dans un
discours prononcé devant des soldats, Lénine traduisait de manière concrète ce
programme révolutionnaire résumé par le slogan « Tout le pouvoir aux soviets
! »
« Camarades soldats ! La question
de l’organisation de l’État est maintenant à l’ordre du jour. Les capitalistes,
qui détiennent aujourd’hui le pouvoir, veulent une république parlementaire
bourgeoise, c’est-à-dire un régime sans tsar, mais où le pouvoir reste aux
mains des capitalistes qui gouvernent le pays au moyen des vieilles
institutions : police, corps de fonctionnaires, armée permanente.
Nous voulons une autre république
(…). Les ouvriers et les soldats révolutionnaires de Petrograd ont renversé le
tsarisme et complètement nettoyé la capitale de toute police (…). La révolution
une fois commencée, il faut la consolider et la continuer. Ne laissons pas
rétablir la police : tout le pouvoir dans l’État, depuis la base jusqu’au
sommet, aussi bien dans le village le plus reculé que dans chaque quartier de
Petrograd, doit appartenir aux soviets de députés des ouvriers, soldats, salariés
agricoles, paysans, etc.(…)
Seul ce pouvoir, seuls les
soviets de députés soldats et paysans peuvent trancher la grande question de la
terre autrement que dans l’intérêt des gros propriétaires fonciers, et non
bureaucratiquement (…). Les comités paysans doivent la confisquer sans délai
(…). Toute la terre doit appartenir à l’ensemble du peuple et ce sont les
soviets locaux des députés paysans qui doivent en disposer. Pour que les
paysans riches – qui sont eux aussi des capitalistes – ne puissent léser et
tromper les salariés agricoles et les paysans pauvres, ceux-ci doivent se
concerter, s’unir, se grouper à part, ou bien former leurs propres soviets de
députés des salariés agricoles.
Ne laissez pas rétablir la police
; n’abandonnez ni le pouvoir ni l’administration de l’État à des fonctionnaires
non élus, non révocables, bourgeoisement rétribués. Unissez-vous, serrez vos
rangs, organisez-vous vous-mêmes, sans vous fier à personne, en ne comptant que
sur votre intelligence et sur votre expérience, et alors la Russie pourra se
mettre en marche d’un pas ferme, régulier et sûr pour libérer notre pays et
toute l’humanité aussi bien des horreurs de la guerre que de l’oppression du
capital.
Notre gouvernement, qui est un
gouvernement de capitalistes, poursuit la guerre dans l’intérêt des
capitalistes. (…) Les capitalistes de tous les (…) pays font la guerre pour le
partage des bénéfices capitalistes, pour la domination mondiale (…). Il n’est
qu’un moyen de sortir de cette guerre effroyable et de conclure une paix qui
soit vraiment démocratique (…) : le passage de tout le pouvoir aux soviets des
députés ouvriers et soldats. Les ouvriers et les paysans pauvres, qui n’ont
aucun intérêt à sauvegarder les bénéfices du capital et à piller les peuples
faibles, pourront vraiment réaliser ce que les capitalistes ne font que
promettre, à savoir : mettre fin à la guerre par une paix durable qui garantira
la liberté à tous les peuples sans exception. »
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