Après le
premier tour de la présidentielle, un système politique ébranlé
L’élimination dès le premier tour
des candidats des deux grands partis de la bourgeoisie qui se relaient au
pouvoir depuis plus d’un demi-siècle symbolise et parachève l’effondrement du
système d’alternance qui en France tient lieu de démocratie.
Les signes annonciateurs se
répétaient d’élection en élection depuis plusieurs années. Cette alternance, où
la droite déconsidérée auprès de son propre électorat était relayée par une
gauche qui menait la même politique, avant de se déconsidérer à son tour et de
repasser le relais, ne pouvait fonctionner que tant qu’une grande partie de l’électorat
faisait crédit au slogan habituel : Le changement, c’est maintenant.
Ce n’est plus le cas.
L’accroissement de l’influence électorale du FN indiquait à sa façon le dégoût
envers les partis traditionnels, et celui du nombre d’abstentionnistes le dégoût
vis-à-vis des élections elles-mêmes.
Mais, le premier tour de la
présidentielle à peine achevé, voilà que la nouvelle alternance est arrivée.
C’est Marine Le Pen elle-même qui a utilisé cette expression, façon de dire à
son électorat que l’heure de prendre le pouvoir au niveau national par le FN
était en vue. Mais cela signifie surtout que l’organisation d’extrême droite
apparaît comme la roue de secours de la démocratie bourgeoise et le dernier en
date de ses avatars. Être écartée depuis tant d’années des combinaisons
gouvernementales par les autres partis vaut à Le Pen 1 258 057 voix de plus que
lors de la présidentielle de 2012. Elle accroît le nombre des électeurs du FN
même par rapport aux régionales de 2015, déjà très favorables pourtant pour le parti
d’extrême droite.
Restait l’autre terme de la
nouvelle alternance. Il a été trouvé en la personne d’un jeune aventurier,
formaté dans la haute finance et les cabinets de l’Élysée, propulsé sur le
devant de la scène par les médias, c’est-à-dire par leurs propriétaires.
La comédie du fonctionnement
démocratique dans la république bourgeoise peut reprendre ; de quoi relancer
les discours sur le « vote utile » et pérorer sur le « front républicain »,
réunissant de la droite extrême de Fillon jusqu’à la gauche du PS façon Hamon ;
de quoi permettre de retrouver ses marques au vaste personnel politique que la
bourgeoisie entretient pour occuper ces dizaines de milliers de postes et de
positions. Ce sont elles en effet qui, des municipalités des grandes villes aux
ministères en passant par le Parlement et toutes les institutions
intermédiaires – départementales, régionales, etc. –, alimentent la vie
politique en dissimulant le fait que le véritable pouvoir n’est pas dans ces
institutions mais dans les conseils d’administration des grands groupes
industriels et financiers.
Le système d’alternance
gauche-droite entraîne dans son effondrement des partis issus il y a très
longtemps du mouvement ouvrier, mais qui se sont mis depuis des décennies au
service des institutions de la bourgeoisie.
C’est d’abord le cas du PCF. Non
pas tant parce que le candidat qu’il s’est choisi, Mélenchon, n’a pas pu
accéder au deuxième tour, mais par son choix de s’aligner derrière cet homme
politique qui ne représente plus aucun lien, même lointain, avec le mouvement
ouvrier, ni par ses idées, ni par son parcours de sénateur et d’ancien
ministre, ni par la filiation revendiquée avec Mitterrand.
Voilà maintenant que c’est au
tour du PS lui-même de s’effondrer, avec les 6,36 % de suffrages recueillis par
Hamon. Ce résultat dépasse à peine les 5,01 % de Defferre en 1969.
Mélenchon a récupéré une partie
de ces suffrages. Mais pas tout, loin de là. Ses bons résultats ne signifient
pas une poussée à gauche. En 2017, les voix de Mélenchon (7 060 000 voix à peu
près), ajoutées à celles de Hamon (2 290 000), représentent 9 350 000
électeurs. En 2012, les voix de Hollande additionnées à celles de Mélenchon en
représentaient 14 256 000.
Si, parmi les cadres du PS,
beaucoup ont choisi Macron, c’est le cas aussi de beaucoup d’électeurs de
Hollande. Mélenchon, quant à lui, n’en a capté que moins de 3 millions.
La
nouvelle alternance
L’arrivée en tête de Macron au
premier tour a été saluée dès le lendemain par une envolée de la Bourse de
Paris. La bourgeoisie n’avait certes pas grand-chose à craindre de quelque
combinaison que ce soit pour le deuxième tour. Cependant, l’idée que puisse se
mettre en place un exécutif partisan du retrait de la France de la zone euro,
voire de l’Union européenne, n’arrange pas ses affaires.
Cet heureux dénouement pour le
fonctionnement de la république bourgeoise risque cependant de n’être que
momentané. L’élection de Macron au deuxième tour est certes à peu près assurée.
Il reste cependant les législatives. Au lieu des deux grands blocs de
l’alternance, s’affronteront alors quatre blocs d’influence électorale à peu
près égale, avec des combinaisons nombreuses et aléatoires dans les 577
circonscriptions.
L’agitation prévisible au sein du
personnel politique de la bourgeoisie pour se recycler dans cette nouvelle
configuration, en laissant des places à de nouveaux venus, les rapports
imprévisibles entre le futur président de la République et la nouvelle
Assemblée, rendront la situation politique instable. Au point de se transformer
en crise politique grave ? Cela dépend infiniment plus de l’évolution de la
situation sociale et politique que de l’agitation dans le personnel de la
bourgeoisie.
Un
trop-plein de partis de la bourgeoisie pour représenter ses intérêts…
Au lendemain des deux élections,
présidentielle et législatives, la bourgeoisie continuera son offensive contre
les travailleurs. La période électorale ne l’a d’ailleurs jamais arrêtée.
Il serait vain de spéculer sur la
mesure ou la provocation patronale de trop qui finira par déclencher
l’explosion sociale ; encore plus sur le rôle que l’instabilité politique
pourrait y jouer.
Ce qui est certain est que, même
s’il est largement élu grâce au « front républicain » réunissant dans une union
sacrée allant de Fillon jusqu’à Hamon, Macron, en servant les intérêts du grand
patronat, ne pourra désamorcer la colère qui monte. Il se déconsidérera sans
doute plus vite que Hollande. Il est parfaitement stupide de voir en Macron un
barrage contre la montée du FN. Il en sera, au contraire, un catalyseur.
Le problème n’est pas dans la
possibilité d’une explosion sociale ; il y en aura une tôt ou tard. Le problème
est que la classe ouvrière soit armée pour une période de soubresauts sociaux
qu’on peut difficilement imaginer autrement, du moins à ses débuts, que comme
l’irruption multiforme de différentes catégories sociales frappées par la crise
de l’économie capitaliste, avec des revendications dispersées.
La classe ouvrière est pour le
moment peu préparée à une telle période. Les grands partis qui, dans le passé,
se proclamaient ses dirigeants, le PCF en particulier, ont progressivement
démoli sa conscience de classe pour y substituer des perspectives
électoralistes dans le cadre du système capitaliste, avec des slogans
nationalistes et protectionnistes.
… aux
travailleurs de faire émerger les leurs
La question d’un parti représentant
non seulement les intérêts matériels mais aussi les intérêts politiques de la
classe ouvrière est la question fondamentale de notre époque.
Voilà pourquoi nous plaçons
toutes nos activités, y compris notre activité électorale, dans cette
perspective. C’est la raison pour laquelle, si nous pouvons avoir des tactiques
diverses dans les élections locales, régionales ou européennes, dans les
élections présidentielles auxquelles nous avons participé, avec les
candidatures successives d’Arlette Laguiller puis de Nathalie Arthaud, cela a
toujours été au nom du camp des travailleurs : au nom de ses intérêts à court
et à long terme, y compris et surtout au nom du rôle que seule la classe
ouvrière consciente est à même de jouer dans la transformation révolutionnaire
de la société.
Nous avons toujours refusé de
noyer le caractère de classe de notre candidature dans un magma de
revendications et d’objectifs divers émanant de diverses catégories d’opprimés,
même lorsque ces objectifs et ces revendications étaient tout à fait légitimes.
Nous avons toujours refusé
également d’en rester à la simple dénonciation. Les campagnes électorales dans
toute démocratie bourgeoisie servent de défouloir. La dénonciation de la
politique menée par ceux qui sont au gouvernement, et dont d’autres voudraient
prendre la place, en fait partie.
Dans la dénonciation, nous
pouvons nous retrouver plus ou moins en accord avec Mélenchon, voire avec
Hamon. Dans la dénonciation, nous pouvons nous retrouver côte à côte même avec
des réformistes ou des associatifs plus ou moins sincères, voire des
écologistes sur certaines questions. Il n’en va pas du tout de même quand il
s’agit d’avancer un programme de lutte pour les travailleurs et d’utiliser les
campagnes électorales afin de renforcer la conscience de classe des nôtres.
Le parti communiste
révolutionnaire qui manque à la classe ouvrière ne peut surgir que si une
fraction significative des travailleurs se met en mouvement, retrouve sa
conscience de classe et fait émerger des militants incarnant cette conscience
dans leurs entreprises, dans les quartiers populaires. Ce parti ne pourra se
construire qu’autour d’idées et de perspectives claires, c’est-à-dire autour
des idées du marxisme, du léninisme, du trotskysme.
Le Parti bolchévique n’a pu
devenir un parti dans lequel s’est retrouvé le prolétariat russe, et sur cette
base postuler au pouvoir, qu’au travers des luttes et des épreuves politiques,
notamment durant les six mois qui ont séparé la révolution de Février 1917 de
celle d’Octobre 1917. Mais, pendant les longues années écoulées entre
l’émergence de la tendance bolchévique et la révolution qui l’a portée au
pouvoir, Lénine et ses compagnons se sont battus sur le plan des idées, dans
des batailles qui ont pu apparaître absconses et totalement incomprises même
par les révolutionnaires de l’époque.
Celles et ceux qui partagent ces
idées sont aujourd’hui très minoritaires et à contre-courant. Mais, pour
reprendre l’expression de Nathalie Arthaud dans sa déclaration le soir du 23
avril :
« Ces quelque 232 000 électrices
et électeurs constituent une minorité dans l’électorat. Mais ils ont contribué
à ce que se manifeste, à l’occasion de cette présidentielle, le courant
communiste. Le courant du mouvement ouvrier qui se revendique de la continuité
avec ce que les expériences des luttes du passé ont produit de meilleur, de
plus accompli : les idées communistes ; la détermination non seulement à
défendre les intérêts quotidiens du monde du travail dans le cadre de
l’organisation capitaliste de la société mais, plus encore, à œuvrer pour son
renversement par l’action collective consciente des travailleurs. »
Nous continuerons à agir pour
renforcer ce courant, pour lui donner les armes politiques résultant des
expériences des luttes prolétariennes du passé. C’est avec cette préoccupation
que nous allons affronter les élections législatives à venir, en présentant des
candidats dans toutes les circonscriptions. Ce sera une façon de continuer à «
faire entendre le camp des travailleurs ». Mais ce sera aussi une façon de
montrer que, pour minoritaire que soit le courant, il est présent partout dans
le pays et que celles et ceux qui veulent rejoindre son combat peuvent apporter
leur pierre à la construction du parti communiste révolutionnaire.
Georges
KALDY (Lutte ouvrière n°2543)
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire