Guyane :
vive la lutte des travailleurs !
Depuis lundi 27 mars, la grève
générale est effective en Guyane. Tout le pays est bloqué. En réalité, il
l’était déjà largement depuis une dizaine de jours. Le mécontentement s’est
élargi suite aux grèves des travailleurs de la société Endel, qui devait
assurer le transfert de la fusée Ariane sur son pas de tir.
Cette grève et un barrage à
l’entrée du centre spatial de Kourou avaient eu pour conséquence l’ajournement
du départ de la fusée. En même temps, les travailleurs d’EDF s’étaient mis en
grève contre l’infrastructure obsolète qui les oblige à des dépannages
incessants sur le réseau. Puis ce fut le tour du port maritime, de la
collectivité territoriale de Guyane (CTG), de la préfecture et de l’aéroport
d’être bloqués.
Les tout premiers barrages ont
été constitués à l’initiative des travailleurs en grève soutenus par le
principal syndicat du pays, l’Union des travailleurs guyanais (UTG). Il y avait
aussi des travailleurs du centre médico-chirurgical de Kourou.
Puis le mécontentement s’est
étendu comme une traînée de poudre à l’ensemble de la population de Guyane.
L’insécurité grandissante en fait le territoire le plus atteint de toute la
France par la criminalité. Le chômage, la décomposition des services publics,
dans l’éducation et la santé notamment, le sentiment d’être méprisé et
discriminé par les gouvernements et l’État français, tout cela à la fois a fait
exploser une colère contenue depuis longtemps.
La population a mis en place des
barrages routiers, principalement aux ronds-points, dans les villes et
villages. Mardi 28 mars, ces barrages ont été partiellement levés pour
permettre la tenue de deux grandes manifestations à Cayenne et à
Saint-Laurent-du-Maroni.
La mobilisation populaire
s’organise autour de multiples collectifs qui se sont constitués d’un bout à
l’autre de la Guyane : collectif des commerçants, collectif des agriculteurs,
collectif qui réclame un commissariat à Kourou, et bien d’autres, par
profession, par ville, village ou quartiers, chez les lycéens aussi.
Une partie du mécontentement des
transporteurs et petits patrons vient du fait qu’une grande partie des marchés
du chantier de la future Ariane 6 leur échappe. Il semble qu’Eiffage soit bien
mieux loti qu’eux.
Les 500
Frères contre la délinquance
Quant aux 500 Frères contre la
délinquance, ce collectif d’hommes en noir, encagoulés, que l’on voit un peu
partout dans le pays, il s’agissait à l’origine, il y a un peu plus d’un mois,
d’un groupe constitué pour réagir à l’insécurité, aux cambriolages, aux
meurtres et assassinats qui sont légion en Guyane. Dirigé par un policier en
disponibilité, ce groupe avait au départ mis en cause les immigrés. Se
défendant d’être une milice, ils en ont toutefois bien des caractéristiques.
Aujourd’hui, avec l’implication de la population immigrée dans le mouvement et
sur les barrages, Surinamiens, Brésiliens, Haïtiens, les 500 Frères contre la
délinquance ont dû remiser leurs déclarations anti-immigrés. Il y aurait même
aujourd’hui des immigrés dans leurs rangs.
Même s’ils sont applaudis par la
population dans les meetings des ronds-points, même si leur stature, leurs
cagoules noires, l’apparence de détermination qu’ils expriment tant par leur
accoutrement que dans leurs propos, leur donnent une image de groupe radical,
prêt à tout, aux yeux de la jeunesse et de la population, ces 500 Frères ne
proposent pas de solution. Ils ne sont pas l’émanation directe de la
mobilisation populaire, mais un groupe à part, constitué avant le mouvement populaire,
proche de la police et bénéficiant de la bienveillance de la préfecture. C’est
à la population elle-même de s’organiser et de freiner les prétentions
éventuelles des 500 Frères à contrôler le mouvement populaire, et aux 500
Frères d’apporter une aide à la population mobilisée tout en se plaçant sous
son contrôle.
Les
intérêts particuliers des travailleurs de Guyane
Bien que les travailleurs soient
la colonne vertébrale de la grève générale, bien que ce soient eux qui ont
démarré le mouvement, bien qu’ils aient répondu massivement à l’appel à la
grève générale de l’UTG et de ses 37 syndicats fédérés, la tête du mouvement
est ailleurs pour l’instant.
Il est frappant de constater que
le cahier de revendications publié lundi 27 mars par les collectifs et signé du
Collectif pour le décollage de la Guyane, le plus important, comporte une série
de revendications concernant les agriculteurs, les Amérindiens, les
enseignants, les transporteurs et bien d’autres, mais aucune ne concerne les
travailleurs des entreprises. Il n’énonce aucune revendication ouvrière. Aucune
augmentation de salaire, aucune revendication d’amélioration des conditions de
travail n’y figure.
Certes, beaucoup de
revendications concernent aussi les travailleurs indirectement, mais aucune ne leur
est propre. Elles sont celles des collectifs. Il y a bien la construction de
cinq lycées, dix collèges, 500 classes primaires, la construction de routes,
des crédits pour la santé et tout ce qui concerne l’amélioration de la vie
générale de la population.
Par contre, si les revendications
propres des travailleurs n’ont pas été prises en compte, celles du Medef local,
elles, l’ont été. Le cahier de revendications des collectifs stipule bien la
création d’une zone franche sociale et fiscale sur dix ans conforme à ses vœux,
ou encore la mise en place du Small Business Act pour améliorer la
compétitivité des petites et moyennes entreprises. On a vu le représentant du
Medef local sur le principal barrage faire des déclarations de soutien au
mouvement général et parler d’allègement du coût du travail. Cela veut dire
baisse des cotisations patronales, gel des salaires, pas d’embauches autres que
sur des subventions publiques, etc.
Plus généralement, on ne voit pas
non plus de revendications spécifiques pour les pauvres des quartiers et pour
les chômeurs.
La lutte générale en Guyane ne
fait peut-être que commencer. Les travailleurs ont encore le temps de
s’organiser en une force particulière, et de se manifester pour faire valoir
leurs propres intérêts. Ce serait le début d’une prise de conscience de classe,
indispensable pour leurs combats de l’heure et ceux de demain. La mobilisation
populaire d’aujourd’hui peut en donner l’occasion aux travailleurs de Guyane.
Pierre JEAN-CHRISTOPHE (Lutte ouvrière n°2539)
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