mardi 21 juin 2016

Complexe Jean Vilar et Multiplex à Argenteuil : le cinéma muet du maire d'Argenteuil



L’ADCI, Association de Défense du Cinéma Indépendant fait circuler actuellement la « lettre ouverte » adressée au maire d’Argenteuil ci-dessous. Elle demande que le projet de multiplex annoncé par G. Mothron soit abandonné. Pour notre part, nous dénonçons la liquidation de « l’espace Jean Vilar » et nous répétons que tout projet municipal devrait être l’objet d’une consultation de la population. Mais c’est bien volontiers que nous diffusons sur le présent blog cette lettre ouverte.

Multiplexe et Temps modernes.

Lettre ouverte au Maire d’Argenteuil

Le 31 mars dernier, Monsieur le maire, vous annonciez aux présidents d’associations que la ville mettait à l’étude, par une entreprise privée, la construction d’« un pôle de loisirs constitué notamment d’un cinéma multiplexe et de restaurants ».
Il s’agirait, selon vos propos, d’une « évidente nécessité » pour les argenteuillais.
Association de Défense du Cinéma Indépendant qui, depuis 17 ans, programmons des films en présence des cinéastes dans les cinémas municipaux, nous sommes particulièrement interpelés par le retour de cette idée d’un multiplexe, contre laquelle nous nous étions élevés il y a 17 ans, avec pour seule raison, la défense du cinéma  indépendant, au nom de l’exception culturelle dont tous les politiques s’enorgueillissaient.
Mais qu’est-ce qu’un multiplexe ? Derrière le modernisme affiché et l’« évidente nécessité » d’une telle structure pour les argenteuillais, se cachent des faits réels : après chaque arrivée d’un multiplexe ce sont des cinémas indépendants qui meurent, des films d’auteurs écrasés par le matraquage publicitaire de films aux budgets énormes : les « blocksbusters ».
Certes, on cherchera à nous faire croire à nouveau qu’ainsi « il y en aura pour tous les goûts! »
Cinéastes, acteurs, producteurs et distributeurs indépendants peuvent vous le dire, Monsieur le maire : ces films-produits que sont les blocksbusters prennent de plus en plus de place sur l’ensemble des écrans. Ils interdisent de ce fait la présentation des films indépendants à modestes budgets.
Lors d’une étude à ce sujet, Le Monde citait la semaine du 13 février 2013 : « Sur les 5 600 écrans que compte l’Hexagone, 4 693 étaient monopolisés par 10 films. Aucun n’était un film indépendant ! »
Lorsqu’un film indépendant apparait dans un multiplexe, c’est parce que son auteur est connu et que le film va « faire des entrées ». Et ceci  parce que les premiers films du cinéaste ont été découverts et promus par les cinémas Art et Essai.
Mais UGC, Pathé, Gaumont et autres fervents du grand commerce n’ont aucun scrupule pour récupérer ces nombreuses entrées dont auraient pu bénéficier les salles indépendantes, notamment pour soutenir les films aux petits budgets de jeunes cinéastes.
Ainsi, à côté des films-produits que sont les blockbusters, les derniers films de Pedro Almodovar et Woody Allen étaient annoncés dans les multiplexes avant même leurs projections à Cannes.
UGC, Pathé, Gaumont et quelques nouveaux jeunes loups, n’ont qu’une obsession : remplir les bourses de leurs actionnaires. Et tous les moyens sont bons : avez-vous remarqué, Monsieur le maire, que  les promoteurs de ces Blocksbusters n'hésitent pas à faire de la violence, du sexisme et de la force machiste un spectacle. Les images de la violence fascinent les jeunes regards. Les chercheurs vous le diront : dans les multiplexes la violence fait recette ! En ce temps que vous voulez « sécuritaire », ne peut-on pas s’en étonner ?
Ne laissez pas croire, Monsieur le maire, qu’un nouveau  promoteur privé aurait soudainement l’intention de bouger cette ligne.
En offrant à des entreprises privées les terres chères aux impressionnistes, vous ne feriez que fragiliser davantage le  cinéma indépendant et oublier de penser ce que devrait être l’art et la culture.
Votre pré projet est d'autant plus étonnant que vous avez, Monsieur le Maire, fait construire le Figuier Blanc, centre culturel beaucoup plus coûteux que les promoteurs l'annonçaient, mais que les contribuables ont payé et qui est là.
Qui connait les difficultés actuelles des programmateurs pour gérer un cinéma indépendant peut se demander comment, avec un multiplexe à deux pas, il va pouvoir réaliser une programmation digne d'un service public et accueillir des films dans leur diversité, à Argenteuil ?
En mars 2016, vous faisiez une promesse aux associations : « Ce projet n’en étant qu’à ses prémisses, je m’engage naturellement à revenir vers vous ». Alors que nos connaissances en matière cinématographique auraient pu vous être utiles, vous n’êtes ni venu, ni revenu vers nous. Par contre vous avez censuré 3000 nuits et La sociologue et l’ourson, 2 films sortis partout en France, et que notre Association de Défense du Cinéma Indépendant et l’association Argenteuil Solidarité Palestine soutenaient, en invitant les spectateurs à échanger avec  les cinéastes!
Voudriez-vous aller plus loin Monsieur le maire ? Construire un multiplexe, les études chiffrées le montrent, c’est vouloir la censure par l’étouffement du cinéma d’auteur.
Pour nous, diffuser des films qui laissent une place à l’imaginaire individuel, plutôt que de chloroformer les esprits, c’est respecter le spectateur, c’est aller à l’encontre d’une logique commerciale enivrante, celle du mépris de Patrick Lelay, ex PDG de TF1, qui prône des émissions de divertissement et de détente, afin que « le cerveau humain reste disponible » aux messages publicitaires, tels que Coca cola.
Cette logique de façonnage de l’opinion permet ainsi aux idées simplistes de l’emporter sur la liberté de penser.
En un temps où on assiste à une inversion des valeurs entre la culture et l’argent, face à « la bête immonde » qui revient au galop, face aux carences des pouvoirs publics, nous en appelons aux enseignants, aux éducateurs, aux artistes et à tous ceux qui pensent que l’art et la culture sont nécessaires à la construction de l’individu et à la vie de la cité, pour dire :  
« Non, Monsieur le Maire, nous ne pouvons concevoir qu’un multiplexe puisse être à nouveau envisagé à Argenteuil ! »
Le cinéma est un art et non une entreprise d’infantilisation des spectateurs.
"Les  temps modernes" de l’indépendant Chaplin n’ont pas fini de nous interpeler.

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